« Des collaborateurs en quête de sens et de valeurs »
Les Ateliers Jean Del'Cour, à Grâce-Hollogne, permettent à de nombreuses personnes handicapées de se développer sur le plan personnel et privé. Cette entreprise à finalité sociale n'hésite pas à investir dans des activités à plus haute valeur ajoutée, pour le marché exigeant de l'aéronautique notamment.
Dany Drion dirige les Ateliers Jean Del'Cour depuis 2008. Rencontre avec cet ingénieur industriel qui s'est converti à l'économie sociale en lui appliquant certains préceptes de gestion du privé.
Quelle est la particularité des Ateliers Jean Del'Cour ?
Nous sommes une entreprise de travail adapté (ETA) dont la toute grosse majorité du personnel (89 %) est reconnue comme handicapée par l'Awiph (Agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées). Nous avons parmi nous des personnes handicapées sur le plan mental, physique, sensoriel, mais aussi des personnes fragilisées socialement. Notre finalité est sociale, en ce sens que notre objectif est de permettre à un maximum de personnes handicapées de s'intégrer par le biais d'un travail que nous voulons aussi enrichissant que possible.
Quelles sont vos activités ?
Historiquement, comme nombre d'ETA, nous nous sommes développés dans des activités d'emballage et de conditionnement. Mais la concurrence s'y est fortement accrue, non seulement de la part d'autres entreprises comme la nôtre, mais aussi de la part des prisons et de pays « low cost » où les coûts de la main-d’œuvre sont très faibles. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes diversifiés dans des activités à plus haute valeur ajoutée comme la connectique, la mécanique, l'indexation et la numérisation de matériel audiovisuel ou la réalisation de pièces en matériaux composites pour l'industrie aéronautique notamment.
Pourquoi vos clients font-ils appel à vous ?
Nous avons constaté une forte évolution dans le marché. Alors qu'auparavant, on s'adressait à nous avant tout en raison de notre finalité sociale, c'est aujourd'hui pour obtenir un prix et, davantage encore, des produits et services de qualité. Nous sommes donc pleinement dans le marché, en concurrence avec d'autres acteurs. Et nous devons constamment nous y adapter.
Votre avantage compétitif ne réside donc pas seulement dans le prix ?
Cet avantage est très relatif. D'une part, en raison de la concurrence nouvelle évoquée ci-dessus. D'autre part, parce que les subsides publics que nous recevons ne sont pas orientés à la hausse et servent surtout à compenser le fait que les personnes qui travaillent chez nous n'ont pas la même productivité que les personnes valides et à financer dès lors l'encadrement plus important auquel elles ont droit. Cet avantage compétitif étant donc à relativiser, nous avons fait le choix stratégique de développer d'autres atouts qui nous permettront d'assurer notre pérennité à long terme : nous ne pourrons continuer à honorer notre objectif social qu'en étant performants sur le plan économique.
C'est dans ce contexte que s'inscrit votre récent investissement de près de 2 millions d'euros dans votre filiale JD'C Innovation ?
Cette filiale spécialisée dans les matériaux composites concrétise nos efforts de diversification dans un marché très exigeant : l'aéronautique. Nous nous sommes équipés de salles blanches et d'autres outils très performants afin de répondre aux commandes que nous avons gagnées auprès de la Sonaca, de la Sabca ou de Techspace Aero par exemple. Des pièces que nous fabriquons vont équiper des Airbus ! Tous les efforts, de certification notamment, que nous effectuons dans ce cadre vont nous aider à tirer nos autres activités vers le haut.
Quelles sont les compétences indispensables au niveau de l'encadrement ?
Nous avons besoin de compétences techniques, liées à nos différents métiers, et sociales, liées à notre personnel, soit une quarantaine d'employés et cadres sur un effectif total de 442 personnes. Des ingénieurs travaillent donc chez nous, pour gérer la production par exemple, mais aussi bien évidemment des éducateurs, des psychologues, des assistantes sociales. Nous recherchons actuellement des profils dans la logistique et allons bientôt ouvrir de nouvelles fonctions de chef d'atelier.
Pourquoi vos collaborateurs vont-ils rejoints ?
Nous avons dans notre encadrement beaucoup de jeunes collaborateurs qui sont très clairement attirés par nos valeurs, qui sont en recherche d'un travail porteur de sens et sont dès lors prêts à ne pas bénéficier d'un package salarial aussi élevé que celui d'une multinationale. Souvent, ils se sont précédemment investis dans des mouvements de jeunesse, dans des activités de nature sociale. Ils apprécient aussi le fait qu'ils reçoivent rapidement beaucoup d'autonomie et de responsabilités, dans le cadre de la gestion de projets par exemple : les clients qui nous font confiance, parfois après avoir un peu appréhendé le fait de s'adresser à une ETA, nous impliquent de plus en plus tôt dans le processus de mise sur le marché d'un produit et apprécient notre capacité à faire preuve d'innovation et de flexibilité.
Recevez-vous beaucoup de demandes de personnes handicapées ?
En cinq ans, de par la croissance de nos activités, nous avons augmenté nos effectifs de plus d'une centaine de personnes. Mais nous avons reçu près de 300 demandes d'emploi l'an dernier. Ce qui est très frappant et interpellant à mes yeux, c'est que nous recevons de plus en plus de demandes de personnes qui sont en décrochage social, ayant été durement malmenées par la crise : cela témoigne d'une forte croissance de la précarité.
Quelles sont, dans ce contexte, vos contraintes de gestion ?
Nous ne pouvons pas nous contenter de mettre une personne au travail et d'en attendre un résultat : notre personnel doit être accompagné, non seulement sur le lieu de travail, mais aussi en dehors de celui-ci. Il y a des problèmes simplement administratifs, mais aussi de famille, d'endettement, de logement : la distinction entre la sphère professionnelle et la vie privée est parfois très floue et nous devons nous y adapter, mais aussi nous placer dans l'objectif de trouver des solutions. Parfois, malheureusement, il nous arrive d'échouer.
Proposez-vous un plan de carrière à votre personnel handicapé ?
Nous ne parlons pas de carrière au sens strict, mais de formation. Ici encore, celle-ci se décline selon deux axes, professionnel et privé. Sur le plan professionnel, nous formons notre personnel qui peut acquérir des compétences techniques par le biais de Technifutur ou de l'Institut Saint-Laurent de promotion sociale notamment. Nous avons formé dernièrement des personnes à la lecture de plans et à la connectique et certaines sont passées de l'activité d'emballage à celle, plus technique, de fabrication de matériaux composites. Mais nous formons aussi sur le plan personnel : cours d'apprentissage à la lecture et à l'écriture, formations liées au planning familial ou aux risques de surendettement par exemple. Étant entendu que, chez nous davantage sans doute que dans d'autres entreprises, le bien-être professionnel passe avant tout par le bien-être privé.
Benoît July