« Devrais-je faire appel à des ouvriers polonais ? »

PME en croissance dans le secteur aéronautique, Dumoulin Aero est confronté à  la difficulté de recruter des profils techniques, des opérateurs sur machines à  commandes numériques en particulier. Son patron est régulièrement contacté par des sociétés lui proposant de faire appel à  de la main-d’œuvre étrangère, à  coûts sacrifiés.

Ayant fait le choix stratégique de la reconvertir du secteur des armes de chasse à  celui de l'aéronautique, Geoffroy-Vincent Cammermans a permis à  son entreprise de passer de trois collaborateurs à  plus d'une vingtaine en dix ans. Rencontre avec un entrepreneur qui se bat pour maintenir, en Wallonie, des emplois industriels de qualité.

Quelle est l'activité de Dumoulin Aero ?

Nous sommes un sous-traitant spécialisé dans la mécanique de précision, dont les pièces sont essentiellement destinées au secteur aéronautique. Par le biais d'Asco, qui est notre principal client, nos produits volent sur la plupart des avions Airbus et Embraer. Nous sommes aussi impliqués dans le programme C-Series du constructeur canadien Bombardier, entre autres.

Dumoulin était avant tout une marque connue des chasseurs. Pourquoi vous êtes-vous diversifié dans l'aéronautique ?

C'est un choix que j'ai effectué il y a une grosse dizaine d'années, poussé à  la fois par une évolution plus difficile dans le domaine des armes de chasse et par des perspectives autrement plus porteuses dans le domaine aéronautique. Paradoxalement à  première vue, il y avait là  une certaine continuité par le biais d'un point commun : la mécanique de haute précision. J'avoue que c'est le hasard d'une rencontre qui m'a incité à  opérer cette diversification, mais je suis content d'avoir pris ce risque : nous avons démarré l'entreprise avec trois machines et trois personnes, et nous sommes plus d'une vingtaine aujourd'hui.

Quelles sont vos perspectives ?

Nous avons vécu un exercice un peu compliqué, mais nous devrions à  nouveau enregistrer une croissance significative en 2015, probablement au-delà  des 5 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous sommes désormais installés dans de nouveaux bâtiments qui nous procurent un excellent cadre de travail. Fruit d’un investissement de 3 millions d’euros, réalisé avec le soutien de Meusinvest, notre usine est organisée afin de respecter les plus hauts standards de production en vigueur dans l’aéronautique, y compris sur le plan de traçabilité. Chaque pièce qui sort de notre magasin est identifiée, de même que chaque opération d’usinage qui lui est appliquée. Nos clients ne plaisantent pas avec la rigueur et la qualité...

Quels sont les profils qui travaillent chez vous ?

Essentiellement des ouvriers qualifiés, c'est-à -dire des opérateurs spécialisés dans les machines à  commandes numériques. Il est très important de souligner à  quel point ce métier a évolué et s'est éloigné de l'image qui lui était attachée dans le passé. Chaque ouvrier qui travaille chez moi pourrait presque venir en costume et aller au restaurant le soir, sans se changer ! C'est aussi un domaine où il y a objectivement de l'emploi : la pénurie de main-d'oeuvre est l'un des principaux soucis auxquels je suis confronté !

Comment faites-vous pour attirer ces profils techniques ?

En toute franchise, c'est la galère. Nous n'avons pas la notoriété de grandes entreprises comme Techspace Aero ou la FN Herstal qui, en région liégeoise, recrutent beaucoup de profils techniques comparables à  ceux qui m'intéressent. C'est donc bien simple : si un candidat se présente devant moi et qu'il me prouve qu'il a la volonté de bosser, qu'il a le souci du travail bien fait et qu'il sait respecter des procédures, je suis prêt à  le former et à  l'engager. Mais je suis bien forcé de constater que les candidats ne se bousculent pas.

Êtes-vous tenté, dès lors, par la délocalisation ou par le recours à  de la main-d’œuvre étrangère ?

J'ai été sollicité par des sociétés qui me proposaient de mettre à  disposition, dans mes ateliers, des ouvriers polonais qui auraient travaillé pour 15 € de l'heure, dix heures par jour week-end compris ! N'est-ce pas pas inimaginable, voire franchement malsain ? Devrais-je en arriver là  ? Ce n'est pas du tout l'optique dans laquelle je me place. Je suis persuadé qu'il y a moyen de continuer à  faire fructifier des PME industrielles en Wallonie, pour autant cependant que les mentalités changent : les filières techniques doivent être revalorisées, les parents doivent se persuader qu'il y a dans ces filières non seulement un avenir pour leurs enfants, mais aussi une vraie source de fierté, d'épanouissement.

On parle beaucoup de la formation en alternance. Votre avis ?

Je m'inscris dans une formule qui partage la même philosophie, en accueillant actuellement un jeune en contrat d'apprentissage industriel. Je l'accueille trois jours par semaine dans mes ateliers et il poursuit sa 7e année en « technique de qualification » deux jours par semaine, à  l'école. Il terminera son apprentissage le 30 juin prochain et il y a de fortes chances que je l'engage dès le 1er juillet. Si cette expérience est positive, j'espère pouvoir ensuite la renouveler. Je crois beaucoup dans les vertus de contacts plus étroits entre le monde de l'enseignement et celui de l'entreprise. Nous nous sommes trop longtemps ignorés.

Quelles sont vos exigences à  l'entrée ?

Le sérieux est absolument essentiel : les critères de fabrication et de certification sont imposés par les donneurs d'ordres et il n'y a aucune marge d'erreur. En sus de la volonté de travailler, de s'impliquer dans son job, cette rigueur est en réalité le critère d'embauche principal, vu que je forme les nouveaux engagés à  l'usage de nos machines. Afin de m'assurer d'une procédure de recrutement aussi performante que possible, c'est mon chef d'atelier qui effectue le premier entretien d'embauche et qui prend ensuite de la décision de passer à  l'essai.

Quels sont à  vos yeux les atouts d'une PME ?

Nous n'avons pas, sur papier, l'attractivité d'une grande entreprise et je le regrette. Car dès lors qu'on travaille chez Dumoulin Aero, je peux vous garantir qu'on en apprécie non seulement la qualité du travail mais, aussi et surtout, la convivialité. Les PME sont avant tout des entreprises familiales et je veille à  ce que ce terme ne soit pas galvaudé.

Benoît July

 

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