« Que les entreprises soient coformatrices aux côtés des opérateurs de formation »
Pour Éric Bossart, président du bassin EFE de Hainaut Sud, les employeurs doivent s’impliquer davantage dans l’écolage des jeunes issus de l’enseignement qualifiant. Histoire de dénicher les profils qui correspondent le mieux à leurs attentes.
Il préside l’une des dix instances – celle de Hainaut Sud – de bassins Enseignement-Formation-Emploi (EFE) que le gouvernement interfrancophone régional et communautaire a récemment mises sur pied en Wallonie et à Bruxelles. L’objectif : réduire le fossé persistant entre l’offre de formation et d’enseignement qualifiant (technique et professionnel) et les besoins réels des entreprises. Il y a un écart saisissant entre les compétences acquises au sortir de l’école et celles qui sont recherchées par les employeurs, déplore Éric Bossart, par ailleurs manager RH chez Ores.
Avant toute chose, qu’est-ce qu’un bassin EFE ?
Un bassin est construit sur une base territoriale. Un bassin EFE, pour Enseignement-Formation-Emploi, correspond grosso modo à un bassin scolaire. Il comprend une instance composée de trois groupes de huit personnes : un groupe de partenaires sociaux, un groupe de personnes actives dans l’enseignement qualifiant et un groupe d’acteurs de l’emploi, de la formation et de l’insertion professionnelle. Ces vingt-quatre personnes, auxquelles il faut ajouter le président, forment un éventail représentatif du monde de la formation et de l’emploi au sein du territoire. Ensemble, elles doivent être à l’écoute des acteurs de ce dernier, qu’il s’agisse de professionnels de l’enseignement, d’entreprises ou de politiques. Chaque bassin EFE a pour mission de mettre en place dans sa région des pôles de synergies, de susciter des offres de formations pertinentes où les projets sont fédérés, où les concurrences stériles sont neutralisées de façon à répondre le plus efficacement possible aux besoins des entreprises.
Pour ce faire, quelles sont les mesures concrètes qui vont être prises dans les dix bassins ?
Précisons d’abord qu’il y a des mesures spécifiques qui ne concernent que certains bassins EFE. Si vous comparez le Luxembourg et le Brabant wallon par exemple, vous aurez des réalités socio-économiques totalement différentes. À l’inverse, si vous observez la situation des trois bassins EFE de Hainaut (Wallonie picarde, Hainaut Centre, Hainaut Sud), vous retrouverez un grand nombre de points communs. Cela étant, il y a bien évidemment des thématiques transversales aux neuf bassins wallons et au bassin bruxellois.
Lesquelles ?
J’en compte trois. La première concerne la formation en alternance (un à deux jours à l’école pour trois à quatre jours en entreprise) et la problématique des stages en entreprise. Elle est trop souvent considérée chez nous comme une filière de relégation. Pendant des années, on a institutionnellement sous-qualifié son importance. Ce n’est pas le cas en Allemagne ou en Suisse par exemple où elle est perçue comme une filière d’excellence. Dans ces deux pays, il existe une grande collaboration entre les opérateurs d’enseignement et de formation d’une part et les entreprises d’autre part. En Wallonie, seuls 4 % des jeunes choisissent l’alternance. Pour quelque 60 % en Suisse. Il y a un vrai travail à faire chez nous en ce qui concerne les mentalités. Il faut s’orienter vers des offres de formations qui permettent d’acquérir des compétences en adéquation avec les demandes des entreprises d’aujourd’hui et de demain. Un des moyens pour y parvenir, c’est par exemple de créer un master en alternance. On vient de le faire avec la haute école Condorcet de Charleroi pour un master en maintenance électromécanique. Immédiatement, la connotation de relégation s’estompe.
Il y a ensuite la problématique des stages en entreprise. Dans l’enseignement qualifiant, il est question d’avoir progressivement une série de stages obligatoires dans certaines matières. Une façon d’inciter les entreprises à s’impliquer davantage dans le processus de formation, notamment en les positionnant comme coformatrices aux côtés des opérateurs de formation. C’est crucial. Prenons l’exemple de l’électricien. Si l’on demande à l’école de former à elle seule l’électricien de demain, celui-ci sera domoticien ou quelqu’un qui s’occupera d’automation, mais on ne peut pas demander à l’institution scolaire d’enseigner l’ensemble des compétences à un jeune ou à un demandeur d’emploi. C’est précisément là que le rôle de l’entreprise devient primordial.
Quid des deux autres thématiques transversales ?
La seconde a trait à la valorisation des filières techniques (métiers du bâtiment, logistique…) et scientifiques (biologie, chimie, physique) qui, aujourd’hui, n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient hier. On le sait, ces filières attirent moins. Mais les choses changent progressivement. Ce qui pose surtout problème, c’est l’aspect promotionnel. En Wallonie et à Bruxelles, vous avez des centaines d’organismes qui s’occupent de la promotion des filières techniques et scientifiques. Résultat : trop de communication tue la communication. La visibilité de ces métiers est compliquée. Il faut simplifier tout cela à l’avenir et faire en sorte que la communication à ce propos soit efficace au sein des dix bassins EFE.
Enfin, la troisième thématique transversale concerne l’attention qui doit être portée à l’utilisation des équipements en matière de formation et d’enseignement. Vous avez des CTA, des centres de technologies avancées, qui sont de véritables bijoux technologiques. Vous en avez en domotique, vous en avez en technologies du chaud et du froid, etc. Il y en a environ une quinzaine en Wallonie. Or, on s’aperçoit que ces centres sont globalement peu utilisés. Il faut inverser cette tendance en mutualisant les ressources et en travaillant en partenariat.
Quelques exemples de spécificités qui ne concernent que certains bassins et pas d’autres ?
La Botte du Hainaut par exemple. C’est une région rurale où la mobilité est catastrophique. Il y a peu d’industries, les moyens de locomotion y sont limités. Conséquence, les personnes ne parviennent pas à se former correctement et acquièrent une expérience professionnelle insuffisante. Dans cette région, le taux de chômage oscille entre 20 % et 25 %. Notre solution : décentraliser certains centres de formation et sensibiliser les habitants de la région à la culture d’entrepreneuriat.
Autre bassin EFE ayant des spécificités qui lui sont propres, Bruxelles. Notre capitale renferme une grande diversité culturelle. On y retrouve une série de problèmes d’adaptation à notre culture socio-économique que l’on ne retrouve pas ailleurs. Il faut donc faire preuve de créativité pour répondre au mieux aux besoins d’emplois locaux.
Les dix bassins se sont-ils fixé des objectifs chiffrés ?
Non, nous n’avons pas encore atteint ce stade-là . Mais la réflexion est en cours pour établir prochainement des indicateurs nous permettant d’observer, année après année, l’évolution de la situation socio-économique de la Wallonie et de Bruxelles.
Alice Dive