« Tout ce que je veux, c’est attirer les meilleurs »

Rares sont les entreprises qui affichent des taux de croissance à  deux chiffres. Odoo, ex-OpenERP, une PME qui s'est hissée parmi les champions du logiciel libre, appartient à  ces quelques exceptions qui n'hésitent pas à  afficher ouvertement de (très) grandes ambitions.

Il n'avait pas 20 ans quand il a fondé sa première entreprise et employait déjà  100 personnes à  30 ans. Rencontre exclusive avec Fabien Pinckaers, cet entrepreneur en chemise qui, basé en Brabant wallon, n'hésite pas à  se comparer aux géants de la Silicon Valley.

Qu'est-ce que vous faites, chez Odoo ?

Nous sommes un éditeur de logiciels de gestion d'entreprise au sens le plus large : quelque 4 000 applications en open source qui permettent de gérer la compta, les ressources humaines, les ventes, le marketing, la productivité, mais aussi de lancer son site web ou un e-commerce. Nous tournons actuellement à  plus de 2 000 installations par jour, pour plus de 2 millions d'utilisateurs dans le monde.

Comment fait-on pour se rémunérer dans le monde des logiciels libres ?

Ce qui fait notre force, ce sont nos produits qui sont forcément les meilleurs puisqu'ils sont constamment améliorés par la communauté de nos utilisateurs, en fonction de leurs propres besoins. La plupart d'entre eux, c'est vrai, ne paient rien, mais nous proposons à  ceux qui le souhaitent des packages, qui démarrent à  12 € ou 99 € selon les cas, offrant notamment un support ou des services plus customisés. Nous travaillons aussi avec des partenaires qui implémentent de gros projets chez de gros clients, et qui nous rémunèrent entre autres pour en assurer la maintenance : nous avons des intégrateurs dans 110 pays. Vu le nombre de nos utilisateurs, capter un petit pourcentage de rentrées chez un petit pourcentage d'entre eux nous permet au final de générer un joli chiffre d'affaires...

Qui sont vos concurrents ? Des géants de l'informatique ?

Des géants attaquent le marché par le haut, avec des produits cadenassés et donc assez rapidement dépassés. Nous rentrons de notre côté dans les entreprises par le bas, par les utilisateurs, qui démontrent que nos applications sont nettement meilleures et bien moins chères. C'est comme cela que nous finissons par travailler tout autant pour des groupes internationaux actifs dans la finance, les télécoms ou l'agroalimentaire, que pour des millions de petits clients. Et c'est comme cela que nous sommes passés d'une petite société qui s'appelait alors OpenERP et qui n'employait que moi-même à  une entreprise qui s'appelle Odoo et emploie désormais 250 salariés.

Que sera Odoo dans cinq ans ?

Nous assumons pleinement notre objectif qui est de devenir le leader mondial des logiciels de gestion d'entreprise, comme Google dans son domaine ou Facebook sur les réseaux sociaux. Nous allons continuer à  quasiment doubler notre chiffre d'affaires (80 % de croissance annuelle) pendant les sept ou huit années qui viennent, nos effectifs devant épouser une courbe comparable. L'an prochain, Odoo emploiera 400 collaborateurs.

Vous employez 110 collaborateurs en Belgique (250 dans le monde). Ne seriez-vous pas mieux dans la Silicon Valley ?

Le cœur de notre métier, c'est la recherche et développement, et celle-ci restera en Belgique, avec un soutien de notre bureau en Inde. La Silicon Valley n'est pas si intéressante qu'on le pense, notamment car les salaires y sont terriblement élevés. En Belgique, nous trouvons des développeurs de très grand talent à  un coût abordable. Et nous ne sommes pas en concurrence, sur le plan du recrutement, avec les géants du web aux États-Unis...

Quelles sont les compétences que vous recherchez ?

Essentiellement trois types de profils. D'une part, des vendeurs qui ont... la vente dans la peau et qui aiment travailler dans un environnement international. Dans nos bureaux de Bruxelles, nous avons 14 nationalités différentes. Nous avons aussi besoin de consultants qui sont capables d'aller chez le client, comprendre son problème et lui fournir la solution dans la semaine. Et nous avons enfin besoin de développeurs, ingénieurs civils et autres informaticiens le plus souvent, qui vont nous permettre de continuer à  délivrer en partenariat avec notre communauté des logiciels et des applications qui sont au top du marché.

Ces développeurs, vous les attirez comment ? Odoo n'est pas le seul recruteur sur ce marché...

Ces profils sont très particuliers parce qu'ils sont passionnés et veulent travailler dans une entreprise qui est à  la pointe. Et nous, nous sommes particuliers car, parmi eux, nous ne voulons travailler qu'avec les meilleurs : nous avons reçu l'an dernier 13 280 CV, ce qui prouve que nous sommes particulièrement bien connus dans le monde du logiciel libre, mais nous n'avons finalement recruté que 163 personnes. Très franchement, peu m'importe d'attirer un développeur qui maîtrise quatre langues et affiche un MBA : tout ce que je veux, c'est qu'il soit le meilleur dans sa spécialité, qu'il ait passé des heures dans sa chambre pour aller plus loin que ce qu'on lui a appris. Il peut même être asocial, je lui trouverai un coin où il pourra s'isoler !

C'est l'idée de vos « plans drague » ?

Pour les profils vraiment très exceptionnels, nous sommes prêts à  tout, parce qu'un développeur exceptionnel ne se contente pas d'afficher une productivité 30 % supérieure à  la moyenne, mais vaut parfois dix collaborateurs à  lui tout seul. Quand nous repérons un tel profil, nous inversons carrément la relation : ce n'est pas lui qui postule, mais nous qui allons le draguer. Il ne vient pas chez nous, mais nous allons le rencontrer et nous étudions ensemble tous les points de blocage, ceux qu'il faut corriger pour qu'il accepte de nous rejoindre. Nous avons même pensé un jour afficher un message en grand sur la homepage de l'entreprise : Stéphane, viens bosser pour nous !

Une PME doit-elle se vendre autrement qu'une grande entreprise ?

Elle doit se vendre différemment. Nous faisons rarement de grands discours sur les campus, mais préférons rencontrer les étudiants autour d'une bière, à  la fin des cours. Les jeunes actuels, surtout s'ils sont bons, savent qu'on leur offrira partout le même salaire, les mêmes avantages. Ce qu'ils veulent, c'est de la passion : s'ils n'aiment pas, ils ne bossent pas, ou mal. S'ils aiment le produit et qu'on leur donne plein de responsabilités, ils foncent. Cela tombe bien : c'est précisément comme cela que nous voulons fonctionner !

Benoît July

 

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