Passer au contenu principal

« En stimulant la digitalisation, la crise a renforcé la polarisation de la main-d’œuvre »

Rédigé par: Pauline Martial
Date de publication: 25 mai 2021
Catégorie:

Digitalisation de la main d'oeuvre

Les enjeux du numérique sont encore nombreux. ManpowerGroup craint un déficit de compétences en la matière. Décryptage avec son Managing Director, Philippe Lacroix.

Trente-six pour cent des entreprises belges ont accéléré leur digitalisation au cours de la crise sanitaire, c’est ce que révèle la nouvelle étude « Skills Revolution » de ManpowerGroup menée auprès de plus de 26.000 employeurs dans quarante pays, dont la Belgique. En l’espace de quelques mois, ces entreprises auraient même gagné trois ans dans leur processus de transformation digitale.

La crise sanitaire a propulsé en avant la transformation digitale de quelques années, avec quel impact sur l’emploi/?

Eh bien, c’est une grande surprise, mais les mutations liées au digital n’ont pas eu d’impact négatif sur l’emploi. C’est plutôt une bonne nouvelle car il y a un an et demi, je prétendais encore que la transformation digitale n’allait pas forcément créer d’emplois sous de nouvelles formules. Or, aujourd’hui, on constate que le nombre de postes créés dépasse ceux qui sont détruits. Selon l’enquête, 91/% des employeurs belges qui automatisent leurs processus prévoient d’accroître ou de maintenir leurs effectifs contre seulement 6/% des employeurs qui ont choisi de ralentir ou mettre leurs projets de digitalisation à l’arrêt. Après, entendons-nous, cela ne signifie pas que personne ne va perdre son emploi car cela implique une évolution des compétences de nombreux collaborateurs. Mais il n’y a en tout cas pas de répercussion négative nette sur l’emploi.

Les entreprises sont-elles toutes logées à la même enseigne/?

Non, évidemment. L’accélération de la transformation digitale suit la taille des entreprises. Ainsi, les moyennes entreprises (50-250 salariés) et les grandes entreprises (plus de 250 salariés) se sont montrées plus volontaristes, avec respectivement 29/% et 21/% d’entre elles qui ont

intensifié leurs efforts dans le numérique. A l’inverse, les plus petites structures, plus durement touchées par la crise, ont davantage suspendu leurs projets digitaux et de recrutement.

16/% des petites entreprises (10 à 50 salariés) et seulement 11/% des micro-entreprises (moins de 10 salariés) ont pu investir davantage dans le digital au cours de la crise du covid. Il s’agit surtout d’une question de moyens. Et puis, avec l’incertitude de la crise, les petites entreprises prennent davantage le temps de la réflexion avant d’investir. Tandis que le marché des grosses entreprises dépasse souvent la Belgique, ce qui leur permet de répartir les risques. Des disparités en termes de secteurs ont également été observées. La construction a par exemple mis les bouchées doubles pour se digitaliser/: l’enquête y a recensé trois fois plus d’entreprises qui ont accéléré leurs projets de transformation que d’entreprises qui les ont mis en pause (23/% contre 7/%). La tendance est également positive dans le secteur de la finance, de l’assurance, de l’immobilier et des services aux entreprises. Dans l’industrie manufacturière, en revanche, on a davantage fait preuve d’attentisme. Et le bilan s’équilibre dans le secteur du retail où le nombre d’entreprises qui se sont automatisées est identique à celles qui ont suspendu leurs plans (24/%).

Selon votre étude, cette transformation digitale contrastée va nous amener vers une reprise à deux vitesses, avec la crainte d’un manque de compétences face aux enjeux numériques à venir…

C’est exact. Sans surprise, d’un côté, il y a certains secteurs en croissance, notamment dans les technologies, la communication digitale, la logistique, la santé, la consultance ou encore le secteur pharmaceutique qui rebondissent. De l’autre, des secteurs et des individus risquent de prendre encore plus de retard en restant à la traîne face à ces transformations du monde de l’environnement économique. Il s’agit d’entreprises qui n’ont pas suffisamment investi dans le numérique et de profils 8administratifs pas ou peu qualifiés. En stimulant la digitalisation, la crise sanitaire a renforcé la polarisation de la main-d’œuvre entre celles et ceux qui ont les compétences et celles et ceux qui n’en ont pas ou pas suffisamment. Aujourd’hui, la première priorité sur le marché de l’emploi va donc être d’aider les individus à se former à de nouvelles compétences, à mettre à niveau celles qu’ils possèdent déjà ou à se réorienter pour se positionner sur des métiers en pénurie. La gestion RH doit occuper un rôle central dans ce processus. Les compétences requises sont évidemment techniques et technologiques mais aussi humaines. Or, 39/% des employeurs sondés en Belgique dans notre étude déclaraient peiner à former leur personnel aux compétences techniques les plus demandées et 45/% éprouvaient des difficultés encore plus aiguës à leur enseigner les soft skills dont ils ont besoin. Parmi les compétences comportementales d’avenir figurent l’esprit critique et analytique, la résolution de problèmes complexes, la résilience, la gestion du stress et la flexibilité, selon un rapport récent du Forum de Davos.