« L’alternance est une expérience de formation et de vie à haute perspective »

Trop souvent, les jeunes se tournent vers l’alternance quand ils ne trouvent plus leur place ou de sens dans l’école traditionnelle. Encore méconnu et sous-utilisé, ce système alliant la formation en centre et l’apprentissage en entreprise gagnerait pourtant à être vu en « choix positif », comme l’a montré le tour de table récemment organisé par Références. Il n’existe en effet pas de voie plus royale conduisant à un emploi bien rémunéré dans des métiers en forte demande. Autant s’en emparer !  

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On dénombre moins de 14.000 jeunes apprenants en alternance en Belgique francophone et leur nombre a diminué d’1,1% en dix ans. C’est ce qu’on peut lire dans le vaste Etat des lieux pour un renforcement de l'enseignement qualifiant et de la formation professionnelle, en particulier l'alternance, réalisé à la demande des autorités belges francophones concernées et publié en mars dernier. Si on inclut les formations pour adulte, les chiffres augmentent légèrement sur la période pour dépasser les 32.000 apprenants. Ce qui place notre pays en queue de peloton européen pour ce type de formation. En Allemagne, 82% des jeunes de 30 à 34 ans dont le plus haut niveau d’études est le secondaire qualifiant ont étudié en alternance. La proportion grimpe même à 93% en Suisse. Chez nous, elle est à peine de 7%, comparé à 25% en France ou à 18% aux Pays-Bas.   

« En Belgique, l’alternance reste encore perçue comme une filière de relégation, regrette Alain Goreux, directeur général de l’office francophone de la formation en alternance (OFFA). Le plus souvent, le jeune en vient à l’alternance parce qu’il a le sentiment que fréquenter l’école à temps plein est devenu impossible et il se demande alors quel métier il pourrait apprendre en alternance. Ce système qui a fait ses preuves en Allemagne, en Suisse ou en France gagnera enfin ses lettres de noblesse chez nous quand nous parviendrons à le positionner positivement dans la démarche d’orientation : ‘Je veux exercer tel métier et il y a plusieurs possibilités d’y arriver, dont l’alternance que je choisis pour les avantages qu’elle offre’. » C'est pour rendre le dispositif de l'alternance plus lisible et accessible au public que l'OFFA a créé la marque ALT+, transversale à tous les opérateurs. Celle-ci se présente comme la pierre angulaire d'une importante campagne de promotion de l'alternance comme filière porteuse (www.alt-plus.be).  

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Marie Pirson, responsable de la gestion de projet à l’IFAPME et Audrey Grandjean, responsable de service auprès de l'Instance Bassin Enseignement qualifiant-Formation-Emploi (IBEFE). 

Copyright : Aurore Delsoir

Taux d’insertion excellents

« Un des axes clés pour développer l’alternance consiste à l’inscrire comme levier d’un véritable projet personnel et professionnel, souligne Marie Pirson, responsable de la gestion de projet à l’IFAPME. Quand on est assis toute la journée sur les bancs d’une école, il n’est pas évident de se faire une idée de ce que sera la réalité du métier qu’on exercera. L’avantage avec l’alternance, c’est qu’on pratique déjà son métier dans une entreprise en parallèle à la formation suivie, bien avant d’obtenir sa certification. Les deux parties — le travail et les études — sont effectuées dans le cadre d’un contrat de formation qui prévoit une (petite) rétribution financière. L’apprenant se forme ainsi à son métier sur le terrain, ce qui offre aussi l’avantage de pouvoir rapidement se réorienter s’il réalise qu’il n’est pas tout à fait à sa place. »

Si l’on s’arrête un peu trop rapidement aux chiffres, on pourrait s’interroger sur la performance du système. En effet, entre la première et la dernière année de formation en alternance, le taux d’abandon se situe entre 60 et 70%. « C’est bien entendu énorme, mais ce n’est pas si étonnant quand il s’agit d’un choix par défaut, relève Audrey Grandjean, responsable de service auprès de l'Instance Bassin Enseignement qualifiant-Formation-Emploi (IBEFE) de Bruxelles. Quand le jeune est motivé et qu’il s’accroche, les taux d’insertion à l’emploi sont alors excellents. » Ainsi, 76% des certifiés sortant de formation en alternance trouvent un emploi dans les six mois. Ces taux grimpent même à 85, 90, voire 100% pour certaines formations dans des métiers en pénurie.

Les ingrédients composant la recette expliquent ce succès. « Les cours sont généralement dispensés par des professionnels en activité, connectés au monde du travail et totalement à la page, explique Alain Goreux. Avant de commencer son parcours, l’apprenant réalise un bilan de compétence et chaque filière de formation propose un profil de formation structuré. Sur cette double base — bilan de compétences et programme —, un plan de formation individualisé est établi. C’est essentiel car une même formation standard n’est pas forcément adaptée selon que l’on soit un jeune de 15 ans et demi, un profil de 20 ans ayant déjà expérimenté l’alternance ou encore un professionnel plus âgé qui veut vivre une reconversion. »

Source d’épanouissement

Le cliché a la vie dure : l’alternance mènerait surtout aux métiers manuels. « Elle ouvre les portes à plus de 200 métiers, certains techniques, mais pas uniquement. Il est par exemple possible de se former au codage informatique, à la comptabilité ou encore de devenir agent immobilier…, indique Audrey Grandjean. Ce qui est vrai, c’est que l’étendue de l’offre est insuffisamment exploitée : 80% des alternants se concentrent dans une dizaine de secteurs — comme la construction, l’horeca, le commerce, etc. Aller jeter un œil au catalogue complet offre bien des surprises ! » Marie Pirson souligne aussi l’effort réalisé pour ne pas « genrer les métiers » et développer une offre attractive pour les femmes au-delà des classiques parcours de coiffeuse, esthéticienne ou vendeuse.

En France, pays où l’alternance est plus développée qu’en Belgique, et y compris au niveau des études supérieures, il existe même un « Routard de l’alternance ». D’où la question qui ouvre classiquement ce guide bien connu : pourquoi y aller ? « La méthodologie a fait ses preuves et les jeunes qui vont au bout du cursus acquièrent de réelles compétences, trouvent un emploi de manière durable et souvent bien payé, résume Alain Goreux. Quand on y voit certains jeunes avec tant de conviction et d’engagement, on se dit que l’alternance est aussi source d’épanouissement tant professionnel que personnel. Dans bien des cas, le système scolaire traditionnel ne leur allait pas et, là, on sent qu’ils vont bien. Mais, on l’a dit, il faut que ce soit un véritable choix. Ce qui implique que cette possibilité de l’alternance soit connue, y compris des acteurs de l’orientation qui ne la proposent parfois pas. »

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Murielle Thomas en charge des ressources humaines chez IDKIDS (Okaïdi, Jacadi, Catimini, ...) et Jean-Marc Verriest, chargé de la communication de l'OFFA. 

Sensibiliser tôt

Bien souvent, on oppose les deux systèmes : l'enseignement de plein exercice d'un côté, puis l’alternance de l’autre, poursuit Alain Goreux. « Mais il conviendrait de travailler l’un et l’autre. Pourquoi ne pas intégrer lalternance dans la construction des filières métiers lorsqu’on se rend compte qu’à un moment du parcours, l’expérience quon acquiert dans une entreprise est importante pour former un profil disposant des qualifications requises ? En Allemagne ou en Suisse, si vous arrivez chez un employeur avec un CV montrant que vous n'avez que l'enseignement de plein exercice en secondaire, il va vous demander pourquoi vous n'avez pas fait d'alternance. Elle est vue comme une réelle valeur ajoutée, voire comme un incontournable. Beaucoup d’entreprises en Belgique seraient prêtes aujourd’hui pour l’alternance, d’autant qu’elles sont confrontées à des pénuries de personnel qualifié. Mais nombre d’entre elles ne connaissent pas le dispositif. Il faut savoir par ailleurs que la formation en alternance peut procurer les mêmes diplômes que les formations organisées en plein exercice. Un diplômé émanant de l'alternance peut, par exemple, passer s'il le souhaite dans l'enseignement supérieur et poursuivre son parcours enrichi de cette expérience. »

« La vision des parents doit aussi évoluer, d’autant qu’on sait qu’ils jouent un rôle important dans l’orientation, conclut Marie Pirson. Il m’est arrivé de me retrouver face à des jeunes qui voulaient s’inscrire en alternance et que les parents venaient… désinscrire ! Disons-le aux parents : votre enfant va développer des compétences de nature à trouver un travail qu’il aura expérimenté lui-même. Il aura une expérience de vie, saura ce qu’attend un employeur et il pourra trouver plus facilement un emploi. Au travers des Carrefours et Cités des Métiers, les personnes intéressées peuvent trouver une porte commune pour s’orienter ou se réorienter et construire un projet professionnel. C’est l’occasion de se renseigner de façon neutre sur l’offre de formation des différents opérateurs de l’alternance. Plus en amont, le Défi des Talents, fruit d’un partenariat entre les opérateurs de formation de l’alternance et l’enseignement, permet aux élèves de 2ème et 3ème secondaires de venir tester, à raison d’une journée, différents métiers. La démarche a aussi la vertu d’ouvrir les enseignants à cette piste de l’alternance en travaillant en amont et en aval de la journée avec l’appui d’un carnet pédagogique. » 

IDKIDS

Aujourd’hui en charge des ressources humaines chez IDKIDS (Okaïdi, Jacadi, Catimini, ...) et, auparavant, responsable de magasin, Murielle Thomas accueille des alternants depuis une quinzaine d’années. « Au départ, ils étaient perçus dans l’entreprise comme de simples bras supplémentaires, reconnaît-elle. Au fil du chemin, nous avons pris conscience que les prendre en service jeunes et avancer avec eux offrait une vraie valeur ajoutée. Les premiers mois, on investit beaucoup, mais ensuite, la personne devient vite rentable. Au final, vous obtenez un collaborateur bien formé, qui connaît votre culture d’entreprise, prêt à être engagé. Comparé à un recrutement classique, le système offre un bien meilleur retour sur investissement. »

Depuis six mois dans son rôle, Murielle Thomas a notamment reçu mission d’encore développer l’alternance. « Nous avons actuellement 18 apprentis sur la Wallonie, sept à Bruxelles et un en Flandre. La première étape a consisté à former notre personnel au tutorat pour bien accompagner ces jeunes. Nous préparons également nos managers à déceler leur profil car, souvent, il y a aussi un travail à mener en matière de soft skills — savoir se présenter, dire bonjour, arriver à l’heure… Quand il ou elle arrive chez nous, l’apprenant.e reçoit une formation de base au métier de quinze jours, puis nous les accompagnons au quotidien pour passer différentes étapes : le traitement de la marchandise, le contact client, les techniques de vente… En parallèle, l’opérateur de formation nourrit l’apprentissage et mène des évaluations, le tout suivi par un référent. À mes yeux, il s’agit d’une vraie expérience de vie avec une perspective d’avenir à la clé. »     

Sprl ELE’K

Arrivé en Belgique en 1996 à l’âge de 16 ans, Abdoulaye Keita est venu à l’alternance un peu par hasard. « Ce qui m’a frappé, confie-t-il, c’est qu’on me l’a présenté comme une sorte de dernière chance. Avec le recul, c’est choquant tant ce fut une belle expérience. » Combinant étude en CEFA et travail chez un patron, il devient électricien, puis suit la formation de chef d’entreprise. « L’avantage du dispositif est qu’il combine théorie et pratique. C’est concret et motivant, car on sait sur quoi on avance. Personnellement, je n’ai jamais pu rester à étudier des heures et des heures. j'ai besoin de travailler avec les mains, ce qui m'aide aussi à réfléchir. »

Au départ, Abdoulaye Keita avait fait le choix de la mécanique automobile. « Mais me retrouver enfermé dans un même lieu tout le temps ne me convenait pas, sourit-il. Je me suis réorienté, ce que permet facilement l’alternance. J’ai été vers l’électricité pour la variété qu’offre ce métier. Je pensais que ce serait plus facile, et j’ai découvert un métier très riche, plein de défis et où l’on se rapproche de la programmation, car les systèmes deviennent intelligents. » Aujourd’hui, l’alternant devenu patron prend lui-même des apprentis et les encadre. « Certains sont très motivés, notamment à l’idée d’être indépendants ; d’autres sont plus difficiles à mobiliser. Ils m’apportent de l’aide, mais c’est aussi pour moi l’occasion de transmettre mon savoir-faire et de rendre au système ce qu’il m’a apporté en aidant les jeunes à se projeter dans leur futur métier. »

Les études montrent que : 

  • le taux de chômage des jeunes ayant suivi une formation en alternance est 50% plus bas que celui des jeunes n’ayant pas eu d’expérience professionnelle pendant leur formation.
  • un employeur sur deux estime que l’apprenant devient productif en moins d’un an.

Source : État des lieux pour un renforcement de lenseignement qualifiant et de la formation professionnelle

  • La rétribution mensuelle brute minimale d'un apprenant en alternance en Belgique francophone est de 332 euros au début de sa formation et de 626 euros au minimum en fin de formation.

Source : www.formationalternance.be

Découvrez plusieurs témoignages sur le site www.alt-plus.be

   

 table ronde alternance   Alain goreux
Abdoulaye Keita, gérant de la Sprl ELE'K et  Alain Goreux, directeur général de l’office francophone de la formation en alternance (OFFA).

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