« L’utopie ne sauvera pas le climat, mais bien une meilleure efficience »
Refusant à la fois une décroissance nous menant au chaos social et une croissance nous vouant au désastre écologique, l’explorateur Bertrand Piccard prône la voie du réalisme : celle d’une « croissance qualitative » fondée sur la recherche d’une meilleure efficience.
Explorateur mondialement connu à la suite de son tour du monde en avion solaire, notamment, Bertrand Piccard a appris de l’aventure du Solar Impulse qu’une meilleure efficience était « la » solution. Non seulement pour faire voler cet avion sans pétrole, mais aussi et surtout pour sauver le monde du désastre climatique. « On peut gagner de l’argent en sauvant l’environnement », assure-t-il, s’appuyant sur plus d’un millier de solutions labellisées par la Fondation Solar Impulse qu’il préside. « Ces solutions sont rentables en protégeant l’environnement plutôt qu’en le détruisant. Et prouvent qu’il est possible de réconcilier l’économie et l’écologie, dans un schéma où tout le monde est gagnant. »
L’homo sapiens, écrivez-vous, est un être passionnant, mais fort peu sage et encore moins rationnel. On ne peut donc pas compter sur lui pour éviter la crise climatique ?
On peut attendre de certains individus qu’ils changent de comportement à titre individuel, mais si on veut enregistrer des résultats tangibles dans la lutte contre le changement climatique ou, plus globalement, dans la lutte contre la pollution, c’est au niveau des autorités publiques, étatiques ou autres, qu’il convient d’agir. Parce que c’est à ce niveau que réside la capacité d’édicter de nouvelles normes, soit pour interdire des pratiques dommageables, soit pour encourager des comportements vertueux. Quand j’étais jeune, les gens avaient l’habitude, sans mauvaise intention, de vider leurs ordures dans le ravin. Cela a fini par être interdit, et cette interdiction a débouché sur la création d’une industrie de ramassage des déchets, puis de recyclage des matériaux, et sur le développement de filières économiques et énergétiques. L’intervention de l’autorité publique était indispensable pour sauver nos ravins. Elle l’est tout autant pour éviter le chaos 8climatique.
L’individu doit-il, dès lors, se sentir déresponsabilisé ?
Le citoyen doit, bien évidemment, agir à son propre niveau : être plus attentif à la manière dont il consomme l’énergie, la nourriture, les objets, la mobilité, considérer que tout ce qu’il consomme vaut en réalité beaucoup plus cher que le prix qu’il paie et donc le respecter davantage, dans une perspective plus durable. Mais la bonne volonté ne suffit pas. L’individu qui refuse l’obsolescence programmée, par exemple, serait bien en peine de trouver un téléphone qui 8réponde à ses critères : il faudrait pour cela que les autorités obligent les constructeurs à porter leur garantie à 5 ans. A l’inverse, certains individus au comportement dommageable, qui gaspillent autant qu’ils consomment, pourraient être pointés du doigt. Mais ce serait oublier un peu vite que nombre de ces pratiques restent légales. Nous vivons dans un monde où polluer n’est pas systématiquement interdit par la loi. Il est même autorisé aujourd’hui d’émettre autant de CO2 que vous 8voulez dans l’atmosphère.
Pour réduire ces émissions, le moyen le plus efficace serait de réduire les activités polluantes. Donc, vu notre dépendance aux énergies fossiles, de nous engager dans la décroissance. Or, vous n’y êtes pas favorable. Pourquoi ?
Il faut savoir de quelle décroissance on parle. Diminuer la pollution, le gaspillage, bien évidemment. Mais je suis contre la décroissance économique, car celle-ci ne peut mener qu’au chaos 8social : moins de salaires, moins de prestations sociales, qui peut souhaiter cela ? La crise du covid en a montré un avant-goût : les émissions de CO2 ont certes un peu baissé, par la force des choses, mais au prix de grandes souffrances sociales et d’énormes problèmes économiques et financiers. Pareille perspective ne tient par ailleurs pas compte de la nature humaine : chacun, où qu’il soit dans le monde, souhaite davantage de confort, de santé, de loisirs, de sécurité. De sorte que prôner la 8décroissance, même si c’est une belle utopie, ne peut conduire qu’à créer de la résistance. Alors que nous avons plus que jamais besoin d’une adhésion la plus large aux mesures qui doivent être prises.