« La diversité et l’inclusion ne doivent pas être à la marge »
Fatima Zibouh, experte en diversité et inclusion, est convaincue que la mise à l’emploi des personnes, quelles que soient leurs différences, contribue à renforcer la cohésion sociale et la dynamique économique et sociale de leur ville, leur région, leur pays.
Fatima Zibouh est experte en diversité, discrimination et inclusion. Titulaire d’un doctorat en sciences politiques et sociales, elle a travaillé sur différents projets qui visent la diversité et l’inclusion au niveau académique, culturel, sociétal et économique. Impliquée depuis plus de 20 ans au sein de la société civile pour créer des connexions entre les différents univers culturels et sociaux, elle est manager au sein d’un service dédié à l’inclusion des chercheurs d’emploi sur le marché du travail et intervient régulièrement comme conférencière pour les entreprises qui souhaitent investir davantage sur l’enjeu de la diversité au sein de leur organisation.
Fatima Zibouh, experte en diversité, discrimination et inclusion
Quels éléments de votre propre parcours pourraient constituer de bons ou de mauvais exemples en termes d’inclusion et de diversité dans le monde du travail ?
Ma sensibilité aux enjeux de diversité et d’inclusion est liée à ma trajectoire personnelle et professionnelle. Je les vis au quotidien depuis ma plus tendre enfance. Mon expérience du vécu, mon expertise académique, mon implication professionnelle et mon engagement sociétal depuis plus de vingt ans m’ont permis d’avoir un regard systémique sur ces questions.
J’ai moi-même expérimenté la discrimination à l’embauche lors d’un recrutement où j’étais en tête de liste. Je sais ce que c’est que de ne pas être acceptée en raison d’une différence et pas en raison de ses compétences. En même temps, j’ai pu traduire ça en force, car aujourd’hui j’en fais mon engagement au quotidien, et cela participe pleinement à la réalisation de ma mission de vie, qui consiste à casser les silos et créer des ponts entre les différents univers culturels et sociaux. La diversité et l’inclusion ne sont pas des questions qui doivent être à la marge d’une entreprise, d’une société. Elles doivent s’inscrire de façon transversale, au cœur même des valeurs de tout projet de société. La diversité et l’inclusion, cela concerne quasi tout le monde.
Qu’est-ce qu’une société inclusive en termes d’emploi ?
Travailler sur l’inclusion au niveau de l’emploi participe pleinement à la réalisation d’une société inclusive. À travers la mise à l’emploi des personnes, quelles que soient leurs différences, on contribue à renforcer la cohésion sociale, la place de chacun et chacune comme force de contribution à la dynamique économique et sociale de sa ville, de sa région, de son pays.
Quels sont les éléments clés d’une politique de diversité et d’inclusion ?
C’est une question très large. Il y en a plusieurs : L’égalité de traitement entre tous les candidats et les travailleurs. La mise en œuvre d’un recrutement qui tient compte de la diversité des talents. La déconstruction des préjugés et des biais inconscients. La reconnaissance de la contribution de chaque personne au sein d’une entreprise. Le bien-être des travailleurs et le sens au travail. Le développement d’une communication inclusive en interne et en externe.
Quels sont les efforts particuliers que les entreprises doivent fournir pour permettre l’inclusion et la progression de chaque collaborateur et collaboratrice ?
Tout d’abord, cela passe par une prise de conscience des défis en la matière. Cela passe par une réelle interrogation de la composition du personnel, des positionnements en termes de places dans les entreprises. C’est se questionner sur qui est autour de la table, en particulier dans le management, le comité de direction ou le conseil d’administration. Cela demande donc avant tout une certaine humilité pour faire un pas de côté. Après ce constat initial, il faut monitorer plus finement à travers une radioscopie de l’état de la diversité, mais aussi du sentiment d’inclusion au sein de l’entreprise. Il s’agit donc d’une analyse qui intègre tant une dimension qualitative que quantitative. Sur cette base, des actions concrètes sur mesure peuvent être mises en place au sein de chaque entreprise, en fonction de sa taille, de son secteur, de sa réalité sociologique en matière de diversité et d’inclusion.
Quels sont les plus grands défis que rencontrent les entreprises pour la mise en place d’une politique de diversité et d’inclusion ?
Le premier défi, c’est celui des données. Mesurer, c’est savoir. Pour les grandes entreprises, c’est plus facile, car elles peuvent réaliser cette mesure tout en conservant l’anonymat. Pour les plus petites entreprises, c’est plus difficile, car il est essentiel de préserver le RGPD pour chaque collaborateur. Par contre, elles peuvent utiliser des méthodologies qui prennent mieux en considération le sentiment d’inclusion à travers des safe spaces où chacun serait libre de s’exprimer sur son bien-être au travail. Le deuxième défi, c’est de mobiliser des ressources pour s’investir de façon approfondie et pas seulement superficielle sur cette question souvent sensible pour les collaborateurs. Cela prend du temps, il faut déconstruire les stéréotypes, investir dans la confiance, construire avec des actions concrètes un cadre où chacun se sentirait pleinement à l’aise au sein de l’entreprise. Enfin, le troisième défi, c’est d’oser poser les questions qui fâchent. En effet, déconstruire pour construire est essentiel pour mettre en place une politique de diversité et d’inclusion qui soit authentique et réellement portée par l’ensemble des collaborateurs. Il faut que l’exercice soit mené avec tous les acteurs et ne vienne pas uniquement du management.
Quelles sont les ressources dont disposent les entreprises pour cette mise en place ?
Il y a aujourd’hui un véritable business du D&I, où on assiste à l’émergence de toute une série de professionnels qui en ont fait leur job. Dans certaines entreprises, il y en a qui ont investi dans un manager diversité dédié à cette tâche. Il y a parfois même des équipes complètes. D’autres intègrent cela plutôt dans le département des ressources humaines, dans le pôle développement durable ou encore dans leur plan de formation. Certains n’ont encore rien mis en place. Pourtant, si on veut aujourd’hui développer l’attractivité au sein d’une entreprise, renforcer le recrutement des talents, répondre aux enjeux de pénurie dans certains secteurs, accroître les performances, augmenter la créativité, il est essentiel de développer une véritable politique de diversité, d’équité et d’inclusion, afin de renforcer le sentiment d’appartenance au sein d’une entreprise.
Quels sont les outils que les entreprises peuvent trouver en externe ?
Il existe toute une série d’outils qui peuvent être mobilisés par les entreprises. Je pense notamment à l’Index Diversité, Equité et Inclusion que nous avons créé dans le cadre de Cohesion Belgium, un groupe de travail du Belgium’s 40 under 40, pour répondre à cet enjeu essentiel des données, tant en termes de diversité que du sentiment d’inclusion. Pour ce qui est du recrutement, il y a BeGreator qui permet de contourner les risques de discriminations liées aux algorithmes lors de l’analyse des CV. Comme outil de sensibilisation, je pense également à E-DIV, élaboré par Unia, qui permet de mieux connaître tout ce qui tourne autour des 19 critères protégés par les lois anti-discriminations. Bien entendu, il faut analyser le besoin de chaque entreprise de façon spécifique pour lui apporter des solutions sur mesure pour développer une véritable politique de diversité et d’inclusion.