« Le manque de personnel infirmier est criant, et cela risque encore de durer »
Classé en pénurie depuis plusieurs années, le personnel en soins infirmiers manque toujours à l’appel. Et les besoins sont d’autant plus remarqués en cette période de crise sanitaire…
A quelques jours de la Journée internationale des infirmières du 12 mai, Alda Dalla Valle, vice-présidente de la Fédération nationale des infirmièr(e)s de Belgique (FNIB) fait le point sur la situation actuelle.
On parle de la pénurie du personnel infirmier depuis plusieurs années, mais quelle est la situation sur le terrain aujourd’hui ?
Vous vous en doutez, la pénurie d’infirmières et d’infirmiers est encore plus criante qu’avant le début de la pandémie de covid. Car au manque initial décrié depuis plusieurs années à la suite d’une diminution de notre effectif, liée notamment aux soignants qui quittent la profession et aux étudiants de moins en moins nombreux dans les formations, s’ajoute aujourd’hui le personnel fatigué et découragé par les situations vécues depuis le début de la crise sanitaire. Une partie du personnel infirmier est en burn-out ou en arrêt maladie, y compris pour cause de covid. Une récente étude d’Acerta faisait état d’un taux d’absentéisme de 36% parmi le personnel soignant ces derniers mois. Rien d’étonnant quand on sait qu’une autre étude, publiée en mai 2020, avait démontré que sept infirmières sur dix étaient à risque de burn-out et que, quelques mois plus tard, une enquête de Sciensano avait obtenu les mêmes résultats. Autre chiffre interpellant : au niveau européen, une infirmière prend en moyenne en charge huit patients par jour. En Belgique, ce chiffre monte à 10, avec tous les soins que cela implique et la technicité ainsi que l’expertise nécessaires à leur réalisation. Pour le personnel infirmier en charge des patients covid, cette charge de travail est augmentée de 20%. Fin de l’année dernière, on estimait qu’il manquait en Belgique 5.500 infirmièr(e)s et aides-soignant(e)s.
Et on se doute que la situation n’est pas près de s’améliorer…
Effectivement, cela risque encore de durer. C’est en tout cas ce que prédisent les projections à 10 et 15 ans, élaborées par la Commission de planification, l’organe fédéral chargé d’évaluer les besoins en matière d’offre médicale pour les médecins, les dentistes, les kinésithérapeutes, les infirmières, les sages-femmes et les logopèdes. Mais c’est une réalité que l’ensemble des acteurs de terrain pressentent également. La grande majorité des institutions de soins de santé de notre pays peine déjà à recruter et craint que cela soit de plus en plus difficile. A tel point que certains lorgnent déjà sur de la main-d’œuvre qualifiée en dehors de nos frontières. L’OMS a cependant formulé ses réticences à ce sujet, demandant à ce qu’on ne déforce pas la réserve de personnel qualifié d’autres pays en ces temps de pandémie, mais cette réalité existe pourtant bel et bien.
Selon vous, quelles sont les pistes de solution à envisager ?
Dans l’immédiat, il faut pouvoir donner un bol d’air aux infirmières et infirmiers en réintégrant du personnel qualifié dans les services de soins de manière à diminuer la charge physique et mentale de leur travail. Cela demande de reconnaître qu’une formation hautement qualifiée est nécessaire autour du patient, pour encourager les jeunes à se diriger vers les formations et à être reconnus pour ce qu’ils font. Après, des changements doivent également être opérés pour revaloriser notre métier, à commencer par revoir la classification IFIC qui fonctionne selon le principe « à travail égal, salaire égal ». Dans les faits, cela signifie qu’une infirmière brevetée peut occuper un même poste qu’une infirmière bachelier, sans différence de rémunération. Ce qui n’encourage pas vraiment à tenter de décrocher un titre ou un diplôme supplémentaire. Une reconnaissance de la pénibilité de notre travail serait également souhaitable. Elle entraînerait la possibilité d’un départ à la pension anticipé et une rémunération plus forte si l’infirmièr(e) choisit de rester aux soins. Les normes d’encadrement sont également devenues totalement obsolètes. La situation actuelle est autre que celle d’il y a 20 ans. La population est vieillissante, nos patients présentent davantage de comorbidités, la technicité des actes à poser et du matériel à utiliser est grandissante. Il y a donc un gros travail de revalorisation de la fonction à mener.
Cela n’est donc pas qu’une question de salaires ?
Les revendications salariales sont importantes, mais elles font partie d’un tout. Un grand nombre d’infirmières et d’infirmiers seraient déjà contents de pouvoir faire ce pour quoi ils ont été formés, sauf qu’ils n’en ont souvent plus le temps. L’aspect administratif de la prise en charge d’un patient est de plus en plus chronophage, par exemple. En ce qui concerne les soins, le personnel infirmier est épaulé par des aides-soigant(e)s. Mais certains sont aides-soignants A, d’autres B. Autrement dit, certains sont autorisés à poser des actes supplémentaires, d’autres pas. Résultat : dans le doute, les infirmières vérifient voire effectuent les tâches qui pourraient leur être attribuées, car elles restent responsables des actes posés par les aides-soignant(e)s. Cela n’aide pas franchement à réduire leur propre charge de travail. Il serait peut-être temps de laisser l’occasion aux infirmières et infirmiers de se recentrer sur leur rôle premier.