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400 000 « bomeurs », et moi et moi et moi...

Date de publication: 25 avr. 2014
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L'édito de Rafal Naczyk

Les statistiques ne trompent pas. Plus d'un jeune sur cinq est sans emploi trois ans après avoir quitté l'école. Jamais ce taux n'avait été aussi haut. Les diplômés s'en sortent toujours mieux et l'écart avec les non-diplômés s'est même creusé. Mais pour tous, à  des degrés divers, le risque du chômage s'aggrave. Les seniors ne sont pas épargnés. Depuis dix ans, le nombre de Bruxellois de plus de 50 ans a plus que triplé. Leur taux de chômage sur ce même laps de temps a, lui, doublé. Il était de 10 % en 2002, il approchait les 20 % en 2012. Sur la Région de Bruxelles-Capitale, Actiris fait état d'une hausse trois à  quatre fois plus élevée du taux de chômage des plus de 45 ans, en comparaison aux évolutions constatées en Wallonie et en Flandre.

Au XXIe siècle, le chômage ne devrait plus être tabou. C'est une parenthèse désormais commune à  toutes les générations. Mais sur les 400 000 chômeurs belges, combien vivent leur situation comme un état de grâce ? Chez nous, voilà  près de deux ans que l’activation des chômeurs s'intensifie. De nombreux groupes « anti-chasse aux chômeurs » se créent en réaction. Souvent, avec humour. Parfois, avec un cynisme à  peine feutré. Comme le 17 juillet dernier, où « une vente de chômeurs au rabais » était organisée en pleine rue Neuve, à  Bruxelles. But de l’opération : dénoncer la fréquence avec laquelle les chômeurs sont pris pour cible. Pour ces groupes, le chômage n'est ni une tare ni un malheur, mais « l'occasion d'avoir enfin le temps de vivre ».

Même motivation chez Nathanaà«l Rouas, inventeur du concept du « bomeur », contraction de « bobo » et de « chômeur ». À 29 ans, ce directeur de création, qui s'est retrouvé sur le carreau en 2009 après la fermeture de l'agence de communication qui l'employait, décline sur les réseaux sociaux et dans un premier roman une démarche qu'il qualifie de « stand up virtuel ». Dans ce numéro, on cherchera en vain un peuple de pauvres, de chômeurs diplômés, de travailleurs sans emploi, de femmes, de vieux, d'intellectuels, de laïcs ou de musulmans avec autant de raisons de se révolter. Car on ne trouvera pas de peuple parmi nous. Le peuple, et plus encore son pluriel de la « révolte des peuples », cela sent son arrière-monde de gaillards en chemise qui vont pieds nus, la machette à  la main, réclamer du pain aux murs de l'hacienda.

Ici, où nous mordons à  belles dents mal remboursées la brioche démocratique, nous ne sommes qu'un parmi d'autres uniques, chacun pour soi. « Bomeurs ». Bobos et chômeurs. Encore un de ces mots-valises dont l'époque est prodigue, et le médium numérique, le fourrier ? Non. Juste une farce qui illustre le besoin de positivisme d'une génération qui multiplie les expériences, mais aussi les périodes creuses. S'il a ce mérite de désacraliser la notion de chômage, le « bomeur », dans ce qui l'identifie dignement, n'aspire qu'à  une chose : le bonheur. Ici et maintenant.