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Candidature 3.0 : jusqu'où vont les recruteurs

Date de publication: 1 juil. 2014
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On le croyait opaque, ultrasélectif et reposant avant tout sur le réseau… Mais subrepticement, le marché de l'emploi change ses codes d'accès. En imposant de plus en plus d'épreuves conçues pour amener les postulants à  se dévoiler.

Phénomène classique en période de reprise molle, les entreprises (petites et grandes) embauchent au coup par coup, et surtout discrètement. Cela leur évite d'être noyées sous les candidatures. Ou de payer, au prix fort, les erreurs de casting. Mais pour ne pas se tromper, les recruteurs utilisent, en plus de leur traditionnelle panoplie, des épreuves masquées. Introuvables dans les manuels d'embauche. En un clin d'oeil, elles leur permettent de jauger la solidité d'une candidature et de son adéquation au poste. Mais dans ce jeu subtil du chat et de la souris, qui du candidat ou du recruteur peut se faire piéger ?

 

Les discussions « informelles »

Sur le site carrière d'une multinationale, on vous invite à  déposer votre adresse mail pour accéder à  une série de vidéos présentant les différents métiers et services de la société. Pour que le candidat puisse se faire une idée précise des postes à  pourvoir, 200 salariés sont prêts à  répondre à  ses questions « de manière très informelle ». Le site propose même de chater avec eux. Objectif du dispositif : écarter, parmi les centaines de candidatures hebdomadaires, celles qui ne témoignent qu'un intérêt relatif pour l'entreprise. Car à  ce stade du processus, le candidat pense juste glaner quelques informations. En réalité, c'est déjà  le début de l'épreuve. À travers ses cookies, l'employeur garde une trace de ces échanges. Et surtout, de leur durée. Officiellement, pour apprécier le degré d'engagement du candidat... Mais gare à  la motivation de façade : si, lors de l'entretien, le candidat pose des questions dont il pouvait trouver les réponses sur le site, il est éliminé.

L'antidote >> Personnalisez votre approche

Aujourd'hui l'arrosage automatique de CV est inutile. Il faut débusquer les entreprises en croissance qui ont la moins forte visibilité. Car ces sociétés seront moins submergées. Puis, personnaliser la prise de contact avec les dirigeants, en passant si possible par les réseaux sociaux plutôt que par les canaux officiels.

 

La vidéo improvisée

Au Cern, le Centre européen pour la recherche nucléaire, chaque recrutement fait l'objet d'une annonce dans tous les États membres. Pas question, donc, de faire venir un candidat « juste pour voir ». Trop cher et trop chronophage. Lorsqu'un CV retient l'attention, le candidat est invité à  se connecter à  une plateforme web où il peut se filmer. Les règles du jeu sont simples : il ne connaît aucune question à  l'avance et n'a le droit qu'à  une seule prise. Sans touche « pause », ni « erase », ni retour en arrière. Ces films de 10 minutes permettent de comparer les candidats et d'établir une short list. Seuls ceux qui auront laissé la meilleure impression seront reçus au siège du Cern, à  Genève.

L'antidote >> Faites-vous recommander

Dans le flot de candidatures reçues chaque jour par les recruteurs en agences, certaines sont beaucoup plus lues que d’autres. Leur secret ? Elles sont relayées par des personnes en interne. Les DRH sont devenus plus frileux, et cherchent tous les moyens pour se rassurer. Se faire coopter par un collaborateur a un double effet positif : le CV atterrira sur le dessus de la pile, et le recruteur lui accordera d'emblée davantage de crédit qu'à  une candidature anonyme.

 

Les descriptions immersives

On les appelle les realistic job previews, les descriptions réalistes de l'emploi. Et ces petits films n'ont pas fini de faire parler d'eux. Sur le site de l'entreprise, une vidéo interactive permet de prendre conscience de la réalité du poste proposé. Comme dans un serious game, le candidat est invité à  jouer son futur rôle dans plusieurs situations. Un client préfère le produit d'un concurrent, un fournisseur annonce un retard de livraison... Comment réagissez-vous ? À diplôme égal, cela permet au recruteur d'avoir une première idée de la personnalité du candidat. De l'autre côté, l'environnement métier du jeu permet au candidat d'avoir un aperçu plus pratique du contenu du poste. Mais l'objectif reste le même : l'écrémage de ceux qui se font une idée trop vague du job.

L'antidote >> Maîtrisez les savoir-être

Près d'un candidat sur deux passe au moins un test avant d'accéder à  un poste. Pour déjouer leurs pièges, il est indispensable de maîtriser certains aspects de sa personnalité : stress, prise de parole en public, capacité à  s'adapter au changement. Informez-vous en amont. Tant sur les besoins de l'entreprise que sur les quatre ou cinq compétences comportementales clés pour le poste visé.

 

Le biographic data

Cette épreuve est une variante de la précédente, mais se déroule à  un stade plus avancé : le candidat a postulé, son CV a plu, et il est invité à  répondre à  un questionnaire en ligne dans lequel il doit traduire en expériences personnelles les prérequis du poste. Par exemple : Vous avez été chef de projet, combien de missions supérieures à  500 000 € avez-vous gérées ?  Ou encore : Votre CV annonce que vous êtes tweetalig, combien de réunions en néerlandais avez-vous animées ? Un score est attribué à  chaque réponse pour que le candidat comprenne s'il a ou pas le bon profil.

L'antidote >> Mettez des « datas » dans votre CV

Que ce soit sur le CV ou dans le profil sur les réseaux sociaux, le recruteur cherche des choses précises plutôt qu'un inventaire de responsabilités. Indiquer des résultats, qu'il s'agisse de croissance, prise de parts de marché, de prix remportés.

 

L'entretien écrit

Sur le site carrière d'une organisation internationale, le candidat est invité à  répondre pendant vingt minutes à  un entretien d'embauche par écrit. Quelle valeur ajoutée apporterez-vous dès les deux premières semaines de votre prise de fonction ?, Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier et pourquoi ? Mieux qu'à  l'oral, cette technique permet d'évaluer l'orthographe, mais surtout la capacité à  hiérarchiser, à  argumenter et à  synthétiser du candidat. Bref, à  organiser un projet.

L'antidote >> Misez sur les compétences sous-entendues

Pour retenir l'attention, essayez d'aller au-delà  des compétences explicitement demandées. Vous devez cerner les besoins du recruteur, et si possible lui apporter « un plus ». Si l'offre précise que le type de missions à  assumer varie souvent, démontrez par un exemple votre capacité d'adaptation et à  gérer le changement.

 

Job affinity : votre boulot en équation

Et si la quête d'un job rejoignait celle de l'âme sœur ? C'est le pari lancé par eHarmony, l'un des plus importants sites de rencontres américains. Le site fonctionne à  l'inverse des lieux de rencontres virtuels : au lieu de visiter des galeries de selfies, vous passez une heure à  répondre à  un questionnaire particulièrement austère. Mais au bout du compte, seuls les profils correspondant au vôtre, et avec le maximum de chances de réussite, entreront en contact avec vous. En matière de job matching, eHarmony se propose d'utiliser la même méthode, fondée sur l'analyse de données fournies directement par les recruteurs et les candidats. L'avantage ? Un recrutement « par affinités » et compétences, plutôt que par CV, mots-clés et diplômes. Autre spécialiste du croisement de datas, Gild, une boîte californienne spécialisée dans le recrutement de développeurs informatiques. Sa botte secrète : un logiciel qui passe la Toile en revue, détecte les talents et évalue leurs compétences. Il s'intéresse à  leur façon de coder, à  la manière dont ils parlent des technologies sur Twitter ou sur les blogs, à  la qualité des solutions qu'ils donnent sur les forums… Nous collectons uniquement des données publiques, souligne cependant Sheeroy Desai, le PDG de Gild. Pour lui, le vrai problème n'est pas la violation de la vie privée, mais ce que les gens publient sur le web sans réfléchir à  l'image qu'ils donneront d'eux. Se faire embaucher par un algorithme ? C'est déjà  pour aujourd'hui.

 

Dopez votre « karma digital »

Dans les religions orientales, le karma est le reflet de nos actions antérieures qui se manifeste dans notre vie actuelle. En d'autres termes, vous récoltez ce que vous semez. Mais attention : seuls les actes vertueux et désintéressés créent du karma positif. Quel rapport avec la recherche d'emploi ? Dans l'espace numérique, les réseaux sociaux sont régis par les mêmes règles de savoir-être que la vraie vie. À commencer par celle-ci : cherchez à  donner avant de recevoir... et vous serez récompensé. N'hésitez donc pas à  partager du contenu de qualité (articles, présentations, travaux de recherche, réflexions personnelles) sur les réseaux sociaux ou sur les blogs. « Likez » les pages de vos contacts. Défendez les causes qui vous tiennent à  cœur. Intéressez-vous aux autres, écoutez avant de parler et engagez le dialogue sur les plateformes dédiées. Le karma étant la somme de vos actes, sa version digitale se devra de refléter vos réalisations - idéalement professionnelles. Mais souvenez-vous, vos actes se doivent d'être désintéressés : pas question de vous faire mousser outre mesure ou d'étaler vos faits d'armes dans le seul but de décrocher une promotion. Soyez pro, mais restez ouvert et à  l'écoute !

 

8 % des recrutements

Le fameux « marché caché » de l'emploi cadre, celui qui se passe d'offres d'emploi et ne joue que sur le réseau, la cooptation et la chasse, est bien moins gros qu'on le croit. Il ne représente que 8 % des recrutements. Mais les moyens de sourcing plus confidentiels, accessibles à  un cercle restreint de candidats, restent tout de même à  l'origine d'une part importante des recrutements. Surtout pour les postes cadres. Le poids du marché caché y atteint 20 % des recrutements. Dans ces fonctions, l'opacité du marché s'explique surtout par une volonté de confidentialité.