De l'innovation dans nos assiettes

Des aliments dédiés au bien-être et à  la santé. Une production davantage soucieuse de durabilité. Et des compétences pointues, de la production et à  l'exportation en passant par la R&D. Le cocktail de l'agroalimentaire wallon est de plus en plus tourné vers l'innovation.

Cela fait dix ans déjà  que Christian Maenhout a résolument fait le pari de la nouveauté... en se tournant paradoxalement vers le passé. J'ai fondé mon entreprise, Bonbons à  l'ancienne, en anticipant une demande forte du consommateur, soucieux de retrouver le goût du naturel et de l'authenticité, explique-t-il. Par ces mots, ce spécialiste de la confiserie prouve que l'innovation, en matière alimentaire, peut prendre de multiples formes. Revenir à  l'ancien, c'est aussi investir pour retrouver des matières premières de qualité, former les gens aux gestes techniques, développer un design attractif... et se conformer aux normes et certifications qui sont incontournables dans ce secteur. 

Spécialiste du cuberdon à  l'ancienne, Christian Maenhout développe actuellement une nouvelle gamme de gommes qu'il destine à  l'exportation, et qui devrait lui permettre à  terme de doubler son chiffre d'affaires. Tout profit pour l'emploi, dans cette PME qui occupe actuellement huit personnes ? Ce n'est pas si évident, concède-t-il. J'ai recherché dernièrement une secrétaire de direction. Au Forem, on m'a prévenu que la seule exigence de trilinguisme réduisait de 70 % le nombre de profils potentiels. Et la plupart des candidates ont refusé le job en s'estimant trop qualifiées dès lors que je leur expliquais qu'il faudrait, comme dans toute PME, faire preuve de flexibilité. Avant cela, j'avais vu fondre mon chiffre d'affaires en raison du délai pris pour retrouver un commercial performant ! 

Il ne suffit donc pas de faire preuve d'innovation, encore faut-il que les compétences suivent. C'est la raison pour laquelle nous faisons tout pour garder nos collaborateurs, complète Michel Horn, associé-gérant d'Ortis, une entreprise familiale qui emploie quant à  elle 130 personnes, à  Elsenborn. Depuis plus de cinquante ans, nous développons, fabriquons et commercialisons des produits fondés sur l'énorme potentiel de santé offert par les plantes. Tout notre savoir-faire réside dans nos collaborateurs : le départ de quelques personnes-clés serait très préjudiciable. 

C'est d'autant plus vrai que, dans cette entreprise, l'innovation est poussée à  l'extrême. Nous nous sommes focalisés sur la santé du système digestif en développant des produits permettant de soutenir la fonction hépatique, de lutter contre les remontées acides, de soulager la colique ou de lutter contre la nausée, entre autres : tous sont issus du travail de notre équipe scientifique qui analyse les mécanismes suivant lesquels les principes actifs agissent sur la physiologie des individus, précise Michel Horn. Plus récemment, nous nous sommes tournés vers l'étude du microbiote, à  savoir ces milliards de micro-organismes, bactéries entre autres, qui constituent la flore intestinale et interagissent avec l'organisme : nos y voyons des pistes très intéressantes pour lutter contre les micro-inflammations du système digestif qui peuvent générer, à  terme, des maladies graves comme le cancer du côlon. 

Un enjeu de compétences crucial

Les compétences sont à  l'avenant. Ortis, dont 80 % du chiffre d'affaires est réalisé à  l'export, a été jusqu'en France pour y recruter des ingénieurs en nutrition. Les équipes intègrent aussi des bio-ingénieurs, des docteurs en sciences, entre autres, ainsi que des commerciaux et du personnel de production. Nous sommes implantés en communauté germanophone, où le marché de l'emploi est particulièrement tendu, constate notre interlocuteur. Mais nous avons des atouts à  mettre en exergue : notre croissance, bien entendu, mais aussi un cadre de travail agréable et une gouvernance familiale qui permet de développer une vraie stratégie à  long terme. Ce sont des arguments qui sont aussi de nature à  convaincre des gens qui ont évolué dans structures plus grandes, de type multinationale. 

Du côté du pôle de compétitivité Wagralim, on confirme que l'enjeu des compétences est crucial, sans évoquer pour autant le terme de pénurie. Les entreprises recrutent beaucoup de bio-ingénieurs, qui sont spécialement formés pour travailler dans ce domaine, confirme François Heroufosse, le directeur général de Wagralim dont on lira l'interview en page 3. Je dirais que les flux sont tendus, la croissance du secteur induisant des besoins constants sur le plan de la recherche et développement, de la qualité, du commercial, notamment. C'est plutôt du côté du personnel de production ou des techniciens qui y sont liés que se posent de vrais problèmes de recrutement. 

Quant à  la concurrence avec d'autres secteurs qui ont eux aussi le vent en poupe, comme l'industrie pharmaceutique, François Heroufosse en relativise l'impact. Certaines compétences se rejoignent, notamment dans tout ce qui a trait à  la gestion des normes d'hygiène et de qualité, ce qui incite parfois des acteurs du pharma à  tenter de séduire des profils dans l'industrie alimentaire, dit-il. Mais il existe aussi des mouvements inverses. Cela fait partie de la dynamique du marché. 

Benoît July

 

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