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L'e-commerce peut-il créer des emplois ?

Date de publication: 7 févr. 2015
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Le commerce en ligne ne cesse de se développer, mais souvent au profit de géants opérant depuis l'étranger. L'e-commerce détruit-il, dès lors, les emplois en Belgique ? On n'en est pas convaincu chez Vanden Borre, qui a investi avec succès ce créneau, complémentaire à  ses magasins, il y a dix ans déjà .

Plus de 8 000 emplois perdus en un an. Tel est le constat récemment dressé par Comeos, la fédération du commerce en Belgique, qui évoquait le retard pris en matière d'e-commerce dans notre pays. Le commerçant belge rencontre de plus en plus de difficultés à  faire front à  la concurrence étrangère, assure Dominique Michel, CEO de Comeos. Les problèmes structurels auxquels le commerce est confronté sont accentués en ligne et ont un impact direct. Notre coût salarial est 20 % plus élevé qu’aux Pays-Bas, nous ne pouvons pas préparer les commandes la nuit, si bien que nous livrons de facto plus tard qu’à  partir des pays voisins, et il est beaucoup plus compliqué de faire appel à  du personnel supplémentaire lors des pics d’activité. Dans ces conditions, c’est souvent peine perdue.

Le résultat ? Le commerçant belge qui souhaite demeurer compétitif délocalise de plus en plus souvent ses activités en ligne dans les pays voisins. En 2014, 42 % des dépenses en ligne des Belges se sont envolées à  l’étranger, soit dans des webshops étrangers, soit vers des commerçants belges qui opèrent désormais à  partir de l’étranger, poursuit Dominique Michel. Il s’agit d’une hausse de 71 % par rapport à  2012. L’année dernière, nous avons donc perdu 2,4 milliards d’euros et raté l’occasion de créer 8 302 emplois.

Voilà  pour le constat, qui induit forcément cette question : l'e-commerce est-il vraiment destructeur d'emplois ou peut-il au contraire en créer ? Pour en avoir le cœur net, nous avons interrogé une enseigne bien présente en Belgique, où elle emploie plus de 1 200 personnes : Vanden Borre, qui écoule ses produits (électronique et électroménager) non seulement par le biais de ses 60 magasins, mais aussi par celui d'un webshop qui leur est complémentaire.

Cela fait plus de dix ans que nous avons développé cette complémentarité, commente Yannick Bouillon, directrice marketing et e-commerce de Vanden Borre. Il est vrai que les difficultés sont réelles en Belgique : en sus des points évoqués par Comeos, nous sommes confrontés à  des investissements aussi importants pour un marché beaucoup plus étroit que celui de nos concurrents. Je devrais même dire : deux marchés, vu que tout le dialogue avec le consommateur, si important dans l'e-commerce (site web, newsletters, interactivité...), doit être réalisé en deux langues.

Le choix posé par Vanden Borre, dans ce contexte, a consisté à  magnifier ses propres atouts, notamment la proximité physique avec le client par le biais des magasins, qui différencient l'enseigne des pure players actifs uniquement en ligne. L'e-commerce est chez nous complètement intégré, de sorte que le client est totalement libre : il peut commander via notre webshop et se faire livrer en magasin, mais aussi commander en magasin un article qui n'y est pas disponible et se le faire livrer rapidement chez lui. Nous pensons que cette proximité est un véritable avantage : le client n'est pas abandonné à  son sort devant son écran, mais a toujours la possibilité de rencontrer physiquement un interlocuteur.

Les profils nécessaires – Vanden Borre continue de recruter – sont à  l'avenant. Certains d'entre eux sont classiques, mais doivent intégrer une dimension e-commerce (un vendeur en magasin par exemple), d'autres sont très spécifiques. Par exemple, dans la logistique où des emplois ont été créés pour gérer les commandes au départ du dépôt central de Leeuw-Saint-Pierre. La réactivité est cruciale : les commandes peuvent être passées jusqu'à  22 h 30, pour livraison dès le lendemain, précise Yannick Bouillon.

Parmi les autres profils labellisés « e-commerce », notre interlocutrice cite les analystes capables de traduire la stratégie de l'entreprise en missions pour les services informatiques, les Content Specialists également qui doivent comprendre les attentes des consommateurs et les traduire en informations et conseils directement utiles sur les webshop, dans les newsletters entre autres. Nous avons aussi des analystes en Big Data par exemple, qui doivent gérer et interpréter les informations sur le comportement du consommateur. Or, il y en réalité très peu de formations qui sont spécialisées sur ces nouveaux métiers. Tout au plus s'agit-il d'options dans un cursus orienté marketing ou gestion par exemple.

Force est de constater que, pour de telles fonctions liées à  l'e-commerce, se sont surtout de jeunes diplômés qui font acte de candidature. Probablement par appétence pour la technologie, alors qu'à  l'inverse les plus expérimentés s'y sentent moins à  l'aise. Fondamentalement, cependant, l'e-commerce relève du bon sens, tempère Yannick Bouillon. Comprendre les attentes du consommateur, lui délivrer le meilleur conseil et lui faciliter la vie dès lors qu'il choisit d'acheter un produit, c'est un peu la base de notre métier. Mais il est vrai, à  l'inverse, que les outils changent très vite. En dix ans, le consommateur est devenu beaucoup plus exigeant : il veut être livré très rapidement et communique aussi différemment (la communication écrite, par le biais de chats, est redevenue très importante). Nous n'arrêtons pas de nous adapter !

D'après Comeos, le commerce en ligne a généré l'an dernier un chiffre d’affaires de 5,6 milliards d’euros, en progression de 15 % pour générer désormais 6,4 % du chiffre d’affaires total du commerce. Pour les magasins physiques, ceci ne constitue pas forcément une évolution négative : les commerçants qui ont aussi créé leur propre webshop peuvent récupérer une partie de leur perte en ligne, estime Dominique Michel. Notre étude annuelle sur l’e-commerce nous apprend que pas moins de 86 % des clients en ligne privilégient les webshops dont le nom leur est déjà  familier. Un magasin physique inspire en effet la confiance. L’année dernière, de nombreux commerçants classiques ont dès lors entamé un mouvement de rattrapage, en développant leur magasin en ligne, en réduisant les délais de livraison, en améliorant leurs services…

Chez Vanden Borre, où l'on a donc posé ce choix il y a dix ans déjà , on confirme le propos tout en avouant une relative prudence sur le plan de l'emploi. Il est en réalité très difficile d'estimer le nombre de jobs qui ont été créés par le commerce en ligne, ceux qui auraient été détruits et ceux qui ont été sauvegardés, conclut Yannick Bouillon. La vraie question à  se poser est plutôt la suivante : serions-nous encore actifs et performants si nous n'avions pas investi dans le commerce en ligne ? Poser la question, c'est y répondre, évidemment.

Benoît July