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Le « bomeur », une espèce en voie d'extension

Date de publication: 25 avr. 2014

Diplôme en poche, bardés de stages, ils sont de plus en plus nombreux à  connaître le chômage avant 30 ans. Avec ses billets teintés de cynisme, Nathanaà«l Rouas livre l'absurdité de la vie du « bomeur ». Un bobo sans emploi. Mais plein d'avenir.

Moins épuisé qu'un « senior », plus en congé sabbatique qu'en « longue durée », mieux rémunéré qu'« assisté », peu soucieux de s'installer dans une précarité, mais malgré tout en peine de retrouver bientôt le chemin du turbin... À 29 ans, Nathanaà«l Rouas, un enfant de la pub qui s'est retrouvé sur le carreau en 2011, a mis au jour le concept de « bomeur », le bobo chômeur. Comme lui, le bomeur a un métier valorisant. Mais évolue dans des secteurs qui ne recrutent plus ou se dépeuplent. Ces nouveaux bomeurs sirotent des jus d'orange en terrasse, à  15 h, en pianotant sur leur Mac, s'amuse Nathanaà«l. Ils ont des habitudes, mais plus de travail... Ou pas assez. En quelques mois, sur ses réseaux sociaux, Nathanaà«l Rouas a fédéré toute une communauté de créatifs précaires, mais branchés. Aujourd'hui à  la tête de sa propre agence, il livre son vécu de bomeur dans son premier roman. Histoire d'assurer un certain standing.

Dans ton livre, tu évoques ton vécu de chômeur, en choisissant de te qualifier de « bomeur ». Bomeur, c’est une parenthèse ou un nouveau mode de vie ?

Le bomeur, c'est à  la base un mot inventé pour faire rire mes potes : Eh, les mecs, en fait, je suis au bomage, un bobo au chômage. Ça les a fait marrer. Dans notre culture, le chômage reste tabou. Alors que, de plus en plus, c'est un moment de vie comme les autres. Et pour la génération des moins de 30 ans, c'est devenu une réalité courante. Contrairement à  nos parents, le marché du travail nous pousse à  accumuler plusieurs boulots dans notre vie. Avec des périodes d'inactivité. Alors, plutôt que de culpabiliser à  cause du regard des autres et du statut social qu'on te donne, mieux vaut en rire... Et mieux vaut vivre le chômage autrement. Pour cela, il faut apprendre à  rebondir, à  se renouveler et aussi à  faire ce qu'on aime. La vraie richesse, ce n'est pas de travailler pour faire du chiffre, mais de gagner sa vie en faisant ce qu'on aime.

Au départ, tu as créé un blog. Parler librement et sans complexe de sa recherche d'emploi, c'est mieux que les séances chez le psy ?

Pour moi, le bomeur, c'est devenu une forme de stand up virtuel. Sur le blog, c'est un personnage qui en fait des caisses pour essayer de montrer à  ses amis qu'il est encore actif, mais qui a de gros moments de bad et de remises en question. En partageant ces moments de vie, je me suis rendu compte que je n'étais pas le seul. Et qu'il y a là  un vrai phénomène de société. Les nombreux commentaires et surtout les rencontres avec d'autres chômeurs m'ont permis de dédramatiser ma situation. Si ce blog a permis à  d'autres personnes de déculpabiliser, c'est le plus beau des cadeaux.

Il y a toujours un soupçon de « mec qui profite » qui pèse sur les chômeurs... Comment le bomeur assume-t-il son statut ?

Le chômage n'est pas cool, ce n'est pas l'art de la glande. Mais ce n'est pas non plus la mort. La clé, c'est de ne pas se cacher et d'affronter les petites remarques acides auxquelles on a droit au jour le jour. Quand on sirote un jus d'orange en terrasse, à  15 h, on a souvent droit à  des sarcasmes comme : Ah ben, elle est belle, la vie ?  Qu'est-ce qu'il faudrait qu'un chômeur fasse pour ne pas agacer ? Mais si vous vous intéressez un peu à  la discussion qui a lieu, en terrasse, vous serez étonnés par la place que prennent l’avenir et les projets. Pour moi, un mec qui profite du système, ce n'est pas quelqu'un qui touche une indemnité après une perte d'emploi ou un licenciement. Et qui envoie des dizaines de CV par jour... Le bomeur décide juste qu'il a le droit d'essayer d'être heureux, plutôt que de rester chez lui toute la journée à  s'apitoyer sur son sort.

Le bomeur fait partie de cette génération qui a entendu ses parents lui répéter à  longueur de journée : Sois prudent. La prudence, ça mène à  quoi ?

Pour nos parents qui s'en sortaient déjà  pas mal avec un bac en poche, faire des études jusqu'à  obtenir un bac+5, c'était l'assurance de voir grandir leur gosse en l'ayant mis sur la bonne voie. Sauf que le bomeur, avec son bac+5 en main, peut finalement se retrouver sur le carreau quatre ans après la fin de ses études. Du coup, le « sois prudent » de la génération du dessus, qui reste un réflexe honorable, sonne bizarre... Mais cette prudence-là  n'est plus la bonne. Au contraire, il ne faut pas hésiter à  tenter des choses, à  prendre des risques, à  développer de nouveaux concepts... pour, peut-être à  terme, pouvoir embaucher d'autres personnes.

Pour tirer le meilleur profit de cette période de recherche, tu as fini par créer ta propre agence de publicité. L'auto-entrepreneuriat, c'est l'antidote actuel au chômage ?

Le chômeur reste un paria. Pourtant, c'est un travailleur comme les autres. Comme dans le foot, ce n'est pas parce qu'on est sur le banc de touche qu'on est mauvais. Seulement, un chômeur a peu droit à  la parole. Alors, au bout de quelques mois de recherches infructueuses, mieux vaut créer sa boîte, si l'on en a la possibilité. C'est plus simple pour obtenir des rendez-vous. Ça permet surtout d'appuyer votre crédibilité et de discuter avec d'autres gens d'égal à  égal. Le seul souci, c'est que la créativité et la prise de risque sont rarement récompensées durant les études.

À LIRE : Le bomeur, une vie de bobo chômeur, par Nathanaà«l Rouas, éd. Robert Laffont, 2014, 264 p., 18,50 €.

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