Passer au contenu principal

Anne Deroy Marchande de vent

Date de publication: 7 sept. 2010
Catégorie:

Elle dirige depuis 15 ans le festival international du cerf-volant de Knokke. Par amour d'un sport qui permet de dompter le vent. Et peut-être, un jour, d'en faire un métier?
Au sol, la station balnéaire huppée de Knokke-le-Zoute a plutôt l'habitude d'accueillir en été un festival de mondanités ostentatoires. Mais depuis 15 ans, le temps d'un week-end, les yeux se détournent des places Matuvu pour admirer le ciel. Qui accueille un ballet aérien bien singulier, empreint de beauté et de grâce, de légèreté et de douceur, de formes et de couleurs.

Et surtout marqué par le silence. Une fois n'est pas coutume, l'habituel tumulte vacancier s'estompe, pour céder le pas au seul souffle du vent. C'est " Passport to Heaven ", le Festival international du Cerf-Volant de Knokke-Heist, devenu l'un des incontournables poèmes estivaux de la côte. Jadis organisé début août, il prend désormais son envol le dernier week-end de septembre. Et accueille les délégations officielles de nombreux pays, notamment d'Asie, qui y délèguent leurs meilleurs cerfs-volistes pour conduire le ballet enchanteur de centaines d'engins volants de toutes sortes et de tous gabarits...

Y compris à  vocation sportive, puisque le festival s'ouvre désormais aussi au kite-surf, dont les plus grands champions feront des démonstrations. De quoi attirer des curieux de toute l'Europe. Ils étaient 40.000 à  la dernière édition. Cette manifestation unique en Belgique, à  vocation exclusivement démonstrative et non commerciale, c'est la concrétisation d'un rêve... éveillé. Un rêve d'enfant. Anne Deroy, sa présidente et organisatrice, n'a fait le lien que très récemment. Elle s'est souvenue que toute petite, elle cherchait fréquemment à  " rallier les hauteurs pour aller chercher le vent ", dont la caresse lui offrait l'apaisement. Sa passion pour le cerf-volant (kite, en anglais) n'est venue que bien plus tard, quand elle était déjà  adulte.

Mais il y a un dénominateur commun : le souffle d'Eole. " Je ne cherche qu'à  mettre du vent dans la tête des gens, à  les inciter à  lever le nez en l'air ". A leur offrir à  eux aussi, petits et grands, une part de rêve éveillé. En partageant une passion pour un sport méconnu en Belgique, mais populaire chez nos voisins et, depuis toujours, en Asie, " où l'on fait voler n'importe quoi ".

Car Anne Deroy l'affirme : il s'agit bien d'une discipline sportive. Même si l'on ne manipule qu'une petite voile de base, lourde et maladroite. Et croyez-là , cette véritable boule d'énergie positive sait de quoi elle parle. Le cerf-volant, c'est toute sa vie : elle en est devenue l'une des meilleures spécialistes belges. " Même avec un seul fil, on est toujours en mouvement, en éveil, toujours occupé, à  reprendre ou donner du fil, à  anticiper le vent... On est en tension ".

 

Un décrochage total


Sa voie (lactée) n'était pourtant pas toute tracée. C'est une passion arrivée sur le tard, sûrement pas par hasard. Anne a dû arrêter l'école pour raisons familiales. Elle s'est rattrapée par la suite avec une formation en micro-informatique qui lui a ouvert des postes dans différentes grosses sociétés où elle ne trouve pas son bonheur, mais il faut bien vivre. C'est la rencontre avec un passionné de cerf-volant acrobatique (à  deux fils) qui éveille sa curiosité. Son ami l'aide à  fabriquer sa première voile, qu'elle emmène en vacances " comme on emporte un frisbee, un simple objet de plage ".

Mais voilà  : le déclic se produit. " Une sensation fabuleuse ". Ce qu'elle a ressenti ? " Impossible à  décrire. Je suis partie dans un incroyable ballet, une partie de cache-cache avec le vent... Le décrochage total. La preuve : quand vous vous mettez à  penser à  quelque chose, la voile tombe ". A l'époque, Anne Deroy travaille pour Caméléon, le pionnier des méga ventes privées textiles. C'était le rush.

" Tous les trois jours, il fallait que je m'évade, que je trouve un endroit dégagé pour aller faire voler mon cerf-volant pendant une heure. C'était ma façon à  moi de faire le vide, de décompresser. Seule. Avec mon oiseau à  deux fils ". C'est là  que tout a vraiment commencé. Mordue, la jeune femme se rend compte à  quel point ce loisir est peu pratiqué en Belgique, hormis sur les plages, avec un matériel qui tient surtout du joujou pour enfants. " On ne vendait de cerfs-volants que dans les magasins de jouets. Pas facile de trouver du matériel de rechange. Vous n'imaginez pas la frustration quand une baguette est cassée et que vous n'avez pas de quoi la remplacer ".

D'où l'idée d'ouvrir un " lieu d'échange et d'infos " pour disciples d'Eole qui, très vite, devient un magasin spécialisé, au cœur de Bruxelles. " Il fallait bien payer le loyer ". Ce n'est pas l'argent qui la motive, pas plus aujourd'hui qu'à  l'époque. " D'ailleurs, cela ne rapporte pas ". Non, ce qu'Anne Deroy cherche, ce qui lui tient à  cœur, c'est le partage. Avec le plus grand nombre. " En France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre, ce sport a ses lettres de noblesse. Il fallait essayer de le populariser en Belgique ". Reconnaissons que l'engouement en Europe est récent, alors que cet art se perd dans la nuit des temps chinois, d'où il a essaimé vers le reste de l'Asie avant d'être importé en Occident par les colons anglais. " Dans de nombreux pays, le cerf-volant est intégré à  la culture. On en trouve des usages étonnants ".

En Indonésie, il est un instrument de pêche, l'hameçon traînant au bout d'un fil. Au Japon, des guerres ont cédé la place à  des concours du plus gros cerf-volant, avec un fleuve ou une terre pour enjeu. Mais le cerf-volant acrobatique, celui que le cerf-voliste pilote avec adresse, est sans conteste venu d'Inde, où sont nées les techniques de combat. " Les villageois se postaient sur les toits avec de petits cerfs-volants très agiles dont les fils étaient enduits de poudre de verre. Celui qui parvenait à  cisailler le fil de son adversaire l'emportait. Et les enfants qui récupéraient la voile égarée gagnaient le droit de combattre à  leur tour "...

Les Britanniques l'ont importé, le cerf-volant a commencé à  se répandre voici 25-30 ans. Puis certains fabricants de voiles ont surfé sur la vague et proposé des modèles plus robustes, légers, agiles que les jouets traditionnels. Un nouveau sport est né.

 

Jump, kite et buggy

 


Il se pratique avec des cerfs-volants à  deux ou quatre fils - " avec ceux-là , vous pouvez suivre quelqu'un, lui tapoter l'épaule à  plusieurs dizaines de mètres de distance et avoir disparu avant qu'il se retourne ". Puis sont arrivées les voiles dites de traction, dont l'avatar ultime est le kite-surf, mais qui existent aussi en version " jump " (au sol, extrêmement dangereux) et " buggy " (comme un char à  voile mais tiré par un cerf-volant).

Un buzz. Anne Deroy l'avait anticipé. Dès 1995, sa passion l'a conduite à  organiser un week-end de démonstration et d'initiation sur une plage de Knokke, côté Zoute, qui eut son petit succès. " J'étais allée chercher une quarantaine de cerfs-volants en Allemagne pour les faire essayer gratuitement à  tout un chacun. Je n'avais ni sponsors, ni financements ". L'idée lui vient alors d'associer l'art tout court à  celui du cerf-volant.

Elle convie une série d'artistes à  se servir des voiles comme de toiles volantes. La vocation artistique de Knokke fait le reste : son bourgmestre, Leopold Lippens, a été tellement séduit qu'il a confié à  Anne Deroy le soin de pérenniser l'aventure sous forme d'un festival. Il célèbrera bientôt sa quinzième édition... sur la plage même où il a vu le jour, après avoir volé entre le Zoute et Heist. Entre-temps, Anne a été contrainte de fermer son magasin, à  cause d'une associée fantasque. En marge du festival, elle s'est longtemps investie dans différentes formes d'animations, notamment dans le cadre d'incentives en entreprises, à  l'époque où c'était la grande mode. Mais il n'était pas question d'en vivre.

" Pourtant, nous n'avons jamais eu de difficultés à  trouver des partenaires, tant il s'agit d'une activité connotée positivement, avec une forte image écologique, non polluante. Mais les sponsors veulent tout, et moi j'ai toujours voulu préserver le caractère non commercial de la manifestation. Qui n'a d'autre but que de faire connaître les multiples facettes du cerf volant, à  travers des démonstrations, des initiations, des infos, des parcours didactiques, etc. ". La ville de Knokke-Heist, elle, est toujours fidèle et investie.

Et Anne Deroy, lasse de se battre avec des sponsors trop gourmands, s'est associée avec Antoine Gheysens (Billy Kite), l'un des grands spécialistes belges du kite-surf, pour organiser désormais l'" International Kite & Wind Festival " au Riverwood Beach Club, rendez-vous bien connu des jeunes, des sportifs et des amoureux de la nature et du vent, avec les dunes du Zoute en arrière plan. L'édition 2010 s'annonce encore plus riche et fréquentée que les précédentes et les 400 initiations au kite offertes trouveront très vite preneur, à  n'en pas douter.

Qui sait, peut-être même est-ce un nouveau départ professionnel pour Anne Deroy. Elle est de plus en plus sollicitée pour organiser des ateliers didactiques et même des cours dans les écoles et les maisons de jeunes, pour animer des sites, organiser des spectacles aériens... Après des années de bonheur mêlé de galère, confie-t-elle du haut de ses 45 ans joyeux, " je me demande pour la première fois si je ne vais pas en faire un métier ".

" Passport to Heaven ", Riverwood Beach Club, les 25 et 26 septembre 2010.

www.passporttoheaven.be