Comment l'entreprise vous évalue
Selon l'esprit du temps, tout, en ce monde, serait évaluable. Ce qui se dérobe à l'évaluation serait donc suspect de collusion avec la médiocrité. Le travail n'échappe pas à cette logique et son évaluation objective est à la base des nouvelles méthodes de gestion et d'organisation du travail.
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Problème : les cadres ne seraient pas satisfaits de la façon dont sont évaluées leurs compétences. À leurs yeux, le processus devrait prendre davantage en compte leur participation à la vie de l’entreprise et leur capacité à animer une communauté autour de leur expertise, et pas seulement la réalisation des objectifs fixés par les managers. Si les directions des ressources humaines plébiscitent de plus en plus l’évaluation individualisée comme instrument de gestion des rémunérations et des carrières, les méthodes employées suscitent scepticisme, stress, sentiment d’insécurité, voire incompréhension et même colère.
La pratique des entretiens d’évaluation, installée depuis une dizaine d’années dans de grandes entreprises, est de plus en plus sophistiquée, avec le recours à des outils informatiques qui conduisent à une sorte de standardisation. Elle devient un outil de gestion, car elle est de moins en moins aux mains des managers au profit des ressources humaines. De plus en plus de syndicats attaquent en justice les pratiques de ces entretiens. Avec deux principaux griefs : l’absence de concertation avec les représentants du personnel et l’intégration de critères comportementaux dans l’évaluation. Lesquels peuvent renvoyer à des critères de personnalité.
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Lectures standardisées ?
La législation sociale, les accords de branches et d'entreprises imposent un certain nombre d'outils destinés à développer les entretiens de compétence. Ils sont nombreux et leur contenu diffère selon la taille de l'entreprise. « Dans les structures plus petites, l'entretien d'évaluation se confond souvent avec l'entretien professionnel, consacré à l'évolution de carrière et à la formation », explique Philippe Meysman, directeur du département Recrutement et Sélection chez Hudson Belgique. « Dans les grosses entreprises, ces deux moments sont souvent séparés. » Passage quasi obligé de l'automne ou du début d'année, ces entretiens d'évaluation ont peu à peu changé de fonction. « Alors qu'ils étaient pensés comme devant permettre une meilleure reconnaissance du travail, ils se sont transformés en instruments de contrôle des salariés », dénonce Bernard Hullaert, directeur Consultance chez SD Worx.
Résultat : ils génèrent de l'insatisfaction aussi bien pour les salariés que pour les managers. En se focalisant sur la réalisation ou non d'objectifs quantifiables, l'entretien ne permet pas de dire le travail. « On évalue la performance individuelle, mais on ne tient pas toujours compte des conditions de réalisation », poursuit-il. Ces entretiens reposeraient-ils sur une fiction ? « La manière dont sont effectuées les tâches est négligée. Le travail bien fait, aspiration de la majorité des salariés, n'est plus valorisé », explique Bernard Hullaert.
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« La vision quantitative ne prend pas en compte la complexité des dossiers. Or, certains demandent beaucoup plus de temps pour être traités correctement », ajoute-t-il. Si dans certaines entreprises l'impact des entretiens d'évaluation est limité et les salariés gardent une certaine souplesse dans leur activité, il peut être lourd de conséquences dans d'autres. La note obtenue peut influer sur la rémunération, voire sur le maintien dans l'emploi. « Une note négative plusieurs années de suite est lourde de menaces. Et le cadre n’a pas toujours l’occasion de se rattraper », poursuit Bernard Hullaert. Autant dire que l'entretien d'évaluation risque d'être anxiogène.
Redessiner les pratiques
En ne mesurant que les performances, les méthodes d’évaluation des salariés sont-elles contre-productives ? « L’entretien d’évaluation doit se recentrer sur le travail. Il doit être conçu comme un espace de discussion pouvant contribuer à l’organisation du travail et à la reconnaissance du travail du salarié. L’intégration de compétences comportementales doit être liée à des situations de travail spécifiques », explique Laurence Vanhée, DRH au service Personnel et Organisation du SPF sécurité sociale.
Ensuite, il faut être transparent sur le processus d’élaboration des objectifs et les incidences des entretiens d’évaluation. Bien souvent, on renseigne des rubriques sans mesurer l’usage qui doit être fait des remontées des salariés et des managers. « Si l’entretien ne doit pas avoir de conséquences sur la rémunération, il faut le dire », insiste la DRH. Le risque est notamment de mettre en porte à faux les managers. Enfin, il ne faut pas tout faire reposer sur l’entretien d’évaluation : « Il s’agit aussi de mettre en place, durant toute l’année, d’autres espaces de discussion autour du travail, du parcours et de la formation », conclut Bernard Hullaert.
> Voir aussi: "Entretien d'évaluation: comment vous préparer?"
Quelques méthodes d’évaluation
Il y a le classique entretien individuel, en face à face, où sont abordés les échecs et réussites, les objectifs. Il sert à fixer des rémunérations individuelles, gérer les compétences, bâtir des plans de formation et faire évoluer les carrières. L’entretien collectif est plus rare. Davantage utilisé pour le recrutement, l’assessment center évalue l’individu dans des situations données. Dans le « 360 ° », le salarié s’évalue lui-même, puis l’est par ses collaborateurs et enfin par son manager, à partir d’un formulaire. Particulièrement anxiogène : le « ranking forcé » évalue le rendement des employés par rapport à leurs collègues et non en fonction d’objectifs. Les Américains appellent cela le top grading et en font un thème majeur de la pensée managériale. Objectif : identifier les meilleurs, transformer les bons en très bons et se séparer des mauvais qui piétinent. Plusieurs entreprises belges ont « top gradé » avant les autres. C’est une pratique discutée dont la validité n'a pas été totalement tranchée.