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Dans la peau des recruteurs: la galère!

Date de publication: 14 sept. 2012
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Prétentions ahurissantes, motivation déplorable, formation non conforme… les patrons en voient parfois de toutes les couleurs. Le recrutement testé par les recruteurs ? Une galère !

Cette candidate était tellement affalée sur sa chaise, devant moi, que je me suis senti obligé de lui demander si elle faisait un malaise !, raconte Pino Milazzo, à la tête de deux maisons de repos et d’une centrale intégrée de soins à domicile, en région liégeoise. C’était inadmissible. Dans le souci de ne pas commettre un faux, j’ai refusé de signer le papier stipulant qu’elle s’était présentée pour trouver un emploi. Et je me suis fait taper sur les doigts par le Forem, qui me l’avait envoyée ! 

De semblables anecdotes, il ne faut pas attendre longtemps pour s’en faire conter dans les rangs patronaux. Souvent, c’est vrai, elles sont relatives à des emplois peu qualifiés. Une femme de ménage m’a un jour raconté qu’elle perdrait de l’argent en acceptant de travailler, poursuit Pino Milazzo qui avoue être un peu las du temps perdu à rencontrer des candidats qui en réalité n’en sont pas. Nous avons fait le calcul ensemble. Compte tenu des frais de transport, des frais de garde de ses enfants, du montant de ses allocations de chômage et du complément qu’elle se faisait en bossant chaque jour au noir, j’ai compris qu’il était inutile d’essayer de la persuader. 

Mais la difficulté de recruter des profils qualifiés est tout aussi réelle, si pas davantage. Les ingénieurs, les informaticiens ? Des prétentions exorbitantes pour une expérience que je pouvais résumer en trois lignes sur un CV, se lamente un DRH, à Charleroi. J’ignore ce qu’on leur a mis dans la tête à l’université, mais ils perdent parfois complètement de vue l’évidence : le marché de l’emploi a beau être tendu pour certains profils, l’employeur doit conserver sa compétitivité... 

Un autre DRH se veut plus tranchant. Quand un gamin de 24 ans a l’arrogance de m’interroger en entretien d’embauche sur le paiement des heures sup et le nombre de jours de congé, il m’arrive de m’énerver, avoue-t-il. Et ce, même si nous travaillons effectivement en horaire flexible et sommes attentifs à l’équilibre avec la vie privée. Mais à chaque âge ses prétentions. Il ne faudrait tout de même pas inverser les rôles : ce n’est pas lui qui m’offre ses compétences sur un plateau d’argent, c’est moi qui lui donne la chance de lancer sa carrière ! 

Des exigences en phase avec la réalité

Aux Câbleries Namuroises, une société de négoce en câbles qui réalise 90 % de ses ventes à l’exportation, on constate aussi que les candidats se nourrissent parfois d’illusions. Ce que je recherche, ce sont de bons technico-commerciaux. Des gens qui ont le goût du commerce chevillé au corps, résume Martin Pierret, directeur général. Le problème de telles compétences, c’est que tout le monde pense les posséder ! J’ai reçu par exemple de jeunes diplômés en marketing ou en langues germaniques. Mais avaient-ils l’envie d’aller se battre, sur le terrain, pour persuader un client ? Voulaient-ils apprendre les arcanes du financement international ou de l’exportation ? Certains sont parvenus à me convaincre et ils ont eu raison. Mais d’autres expériences se sont soldées par de cuisants échecs. 

Le résultat ? Je suis effectivement devenu d’autant plus exigeant que la plupart des formations supérieures ne sont pas en phase avec les exigences réelles du commerce, reconnaît Martin Pierret dont la société emploie dix-huit personnes pour un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros. Je peux certes leur apprendre à décortiquer un bilan et les initier aux contrats en devises étrangères, mais il faut qu’ils aient la passion de travailler dans un domaine qui n’est pas celui d’une grande banque ou d’une société de  consultance. Il  y a des jeunes qui choisissent manifestement leurs études sans penser au métier qu’ils voudront exercer : ils se disent que s’ils ne trouvent pas dans la pub, le tourisme ou l’histoire de l’art, ils feront bien du commerce international pourvu qu’ils connaissent une langue étrangère. Or, désolé, parfois ce n’est pas suffisant... 

Exigeants, les employeurs ? La plupart le reconnaissent volontiers, mais le justifient tout autant. Quand nous recrutons, c’est dans une optique de long terme, commente Stéphane Hauseux, administrateur responsable du recrutement pour les sociétés Hanin (Marche), Drion (Gembloux), Miroiterie jamboise (Namur), notamment. Nous avons multiplié les effectifs de notre groupe par cinq en dix ans. Mais il nous faut de la qualité : des compétences, du potentiel, de la personnalité. Et pour trouver ces perles rares, dans lesquelles nous allons investir, il faut du temps : rencontrer des dizaines de candidats et souvent les refuser parce les compétences n’y sont pas, parce que la présentation ne plaît pas, parce que la capacité de réfléchir et trouver la solution à un problème complexe ne saute pas aux yeux, parce que tout simplement, je ne perçois par de potentiel à long terme. En ce sens, effectivement, je suis exigeant. Mais nous avons déjà emmené tout notre personnel à Venise, à Glasgow, à Milan. Nous lui offrons des possibilités de carrière, un bon salaire, un job intéressant. Alors, oui, pour ces raisons-là aussi, nous sommes exigeants… 

Texte: Benoît July