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Dans le public, les langues se délient

Date de publication: 24 janv. 2014
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Parler deux langues, ou plus, c’est un atout au travail. Presque une exigence dans le privé. Et dans le public ? A fortiori, une évidence, lorsqu’on est fonctionnaire fédéral. Mais pas une nécessité... 

Observons un fonctionnaire fédéral : il est enveloppé dans un jean, il a un bureau et des horaires flexibles, un salaire raisonnable et il apporte au monde la civilisation. En toute humilité, un fonctionnaire fédéral, c'est un type comme nous. Sauf que dans un cas sur deux, on ne comprend pas ce qu'il dit. D’autant plus dans un pays trilingue comme la Belgique. Car au-delà des frontières culturelles, des lois linguistiques et de l'union par la force des choses, le bilinguisme au sein des pouvoirs publics reste un mythe. Une denrée rare. Bref, en termes d'employabilité : un savoureux atout.

Si bien qu'en interne, les travailleurs des services publics regorgent de créativité pour muscler leur bilinguisme. Depuis maintenant sept ans, au sein du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), fonctionnaires et contractuels organisent eux-mêmes des tables de conversation. Dans notre organisation, chacun parle sa langue, en réunion ou au bureau, explique Gudrun Briat, l’une des initiatrices du projet. Légalement, aucun de nos travailleurs n'est obligé d'être bilingue. Mais en pratique, si on n'a pas de connaissance passive, on peut rapidement perdre le fil. Alors, pour pallier leurs lacunes, chercheurs, secrétaires et même certains managers se retrouvent entre collègues, à l’heure du déjeuner, pour converser en néerlandais ou en français. La plupart des gens parlent mieux l’autre langue qu’ils ne le pensent. Mais ils se bloquent, par peur de faire des fautes, confie Gudrun Briat. Comme elles sont totalement informelles, les tables de conversation permettent de se libérer de ces freins. L’essentiel, c'est de comprendre et de se faire comprendre. Pour les nouveaux, c’est une bonne manière de s’intégrer. On se retrouve souvent à table avec des collègues avec lesquels on ne travaille pas forcément.

À plus vaste échelle, les SPF rêvent tous de généraliser l’autonomie dans l’autre langue. Mais en douceur. Et, si possible, avec un brin de convivialité. Ainsi, en mai 2013, l'Institut de formation de l'Administration fédérale (IFA) a lancé Patati@fed, un « réseau social » permettant aux fonctionnaires de trouver des partenaires d’entraînement. Les fonctionnaires qui participent à nos formations avouent souvent rechercher davantage d’expérience pratique, explique Annelies Porteman, cocréatrice du projet. Avec Patati@fed, chacun peut trouver un fonctionnaire fédéral présentant les mêmes centres d’intérêt, mais parlant une langue maternelle différente. Le « patati » est donc un partenaire d'apprentissage avec lequel on peut discuter, échanger des e-mails, organiser des sorties et se faire coacher en « peer-to-peer ». L'idée, c'est de décomplexer l'apprentissage des langues et de l'ancrer dans la vie active, explique Annelies. Les gens ne veulent pas se limiter à la théorie, mais ont parfois besoin de quelqu'un avec qui oser parler et se lancer. Spontané, convivial, le concept séduit : en huit mois d'existence, le réseau compte près de mille membres actifs. Le site propose aussi de nombreux conseils d’exercices et une foule d’idées pour pratiquer, pendant et après le travail, son français ou son néerlandais. Et les échanges de bonnes pratiques fusent : par exemple, des fonctionnaires créent des zones de langue autour de la machine à café, d'autres configurent leur smartphone dans l'autre langue nationale... Pas mal d’idées très ludiques permettent également de travailler en équipe ou en organisation, confie Annelies. De quoi inspirer les chefs de service et les responsables RH pour encourager le bilinguisme.

Perfect tweetalig et mieux rémunéré ?

Contrairement aux communes ou aux CPAS bruxellois, on ne doit pas être bilingue pour travailler dans le fédéral, explique Benedikt Verhaeghe, responsable certification linguistique au Selor. Les lois linguistiques n'imposent un test de langue aux fonctionnaires fédéraux que dans des cas bien définis. Soit pour un poste à l'étranger, soit dans le cadre d'une fonction diplomatique, soit pour être nommé dans le cadre bilingue lorsqu’on exerce une fonction de direction. Toutefois, un fonctionnaire peut obtenir un certificat linguistique pour être nommé ou pour être engagé dans une langue différente de la langue de son diplôme. Mais depuis l’entrée en vigueur, en septembre 2009, des nouveaux examens linguistiques du Selor, de plus en plus de fonctionnaires osent le bilinguisme. Pas seulement par passion pour les langues, mais aussi par... opportunisme financier. Ainsi, au cours du premier trimestre de 2013, sur les 5 476 candidats qui se sont inscrits à une procédure linguistique, 2 037 certificats linguistiques ont été attribués. Et parmi eux, plusieurs centaines de « primes linguistiques ».

Avant février 2009, la difficulté de l’examen variait non pas selon les besoins de la fonction, mais en fonction du niveau de l’administration. Un agent de niveau A devait, par exemple, passer un examen plus compliqué qu’un agent d’un niveau inférieur. Mais il recevait une prime plus élevée. Un système « inégalitaire » selon les communes d’Auderghem et de Schaerbeek, qui introduisirent un recours au Conseil d’État. Désormais, c’est le « degré de compétence » dans l’autre langue qui prime.  Que ce soit pour une secrétaire ou un directeur, ce degré se décline dorénavant en deux adjectifs : élémentaire ou approfondi. Les tests linguistiques ont beaucoup évolué au fil des années, observe Benedikt Verhaeghe. Ils sont de plus en plus centrés sur les compétences et non plus uniquement sur la connaissance. En une décennie, le taux de réussite de ces tests est passé de 36 % à 68 %, et ce, principalement grâce à l’abandon des chapitres consacrés au vocabulaire et à la grammaire. L'impact sur les primes ? Plus le test est difficile, plus le montant est important. Par exemple, pour une personne disposant d'une connaissance élémentaire, la prime mensuelle s'étale de 40 € à 50 € brut. Pour les connaissances approfondies, la prime culmine à 110 € brut par mois. Au SPF P&O, le pourcentage des membres du personnel avec une allocation de bilinguisme est ainsi passé de 20,6 % en 2007 à 53,1 % en 2012.

Chercheurs d'emploi : comment booster vos compétences linguistiques ?

À Bruxelles

Dans la capitale, où 90 % des chômeurs sont unilingues francophones, la plateforme Brulingua.be permet à tous les chercheurs d'emploi d'apprendre une langue étrangère. Ce service est gratuit. Pour y avoir accès, il suffit de s'inscrire en indiquant son numéro de dossier chez Actiris. Ensuite l'apprenant peut suivre ses leçons à l'heure désirée et à son rythme, à travers une série de modules interactifs. Particularité : en plus de la grammaire et de la maîtrise de l'oral, l'accent est mis sur les expressions clés de 25 secteurs. Pour l'heure, Brulingua n'offre aucune certification. Mais ceux qui le souhaitent peuvent passer des épreuves certifiantes dans l'« espace langues » d'Actiris.

En Wallonie

Au Sud, une offre d'emploi sur huit exige au moins la connaissance d'une deuxième langue. La Région et le Forem offrent régulièrement des chèques formation, ainsi que des bourses d'immersion, notamment pour des stages de douze semaines dans les pays émergents. Mais depuis 2011, la plateforme Wallangues permet à tout Wallon (chercheur d'emploi ou pas) de se former à une langue étrangère. À son rythme, sans débourser un euro. Au menu : des corrections systématiques et une certification objectivée du niveau de connaissance. Cet outil d'e-learning rassemble déjà plus de 250 000 utilisateurs, essentiellement pour l'apprentissage de l'anglais et du néerlandais.