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Femmes au bord de la crise de nerds

Date de publication: 27 févr. 2015
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Ils attirent peu de femmes et, pourtant, ces métiers ne cessent de leur faire des avances. Face à  la pénurie de talents dans les métiers techniques et technologiques, les employeurs se mettent à  rêver de diversité des genres. Quitte – pour certains – à  pratiquer un brin de discrimination positive à  l’embauche.

Lorsque je dis aux gens que je suis technicienne, ils me répondent souvent : Technicienne… de surface ? Johanne Khan a pris le parti d’en sourire. Mais son métier n’a rien à  voir avec le nettoyage. Depuis quatorze ans, cette mère de trois enfants officie comme technicienne field printing. Elle répare des imprimantes et autres outils informatiques dans les entreprises. Et elle s’éclate.

Elle a commencé sa carrière au sein du groupe Systemat comme secrétaire. Après deux mois, on m’a demandé si je voulais apprendre l’informatique et on a eu la gentillesse de me former sur le tas. Pour tordre le cou aux stéréotypes, elle aime à  rappeler son mètre quatre-vingts, ses longs cheveux blonds et sa féminité assumée. Quand je débarque dans une usine très masculine, c’est sûr que l’on me regarde parfois comme une « chose » bizarre… Mais ça s’est toujours très bien passé. Sans parler de mes collègues, tous charmants avec moi. 

Johanne Khan reste l’exception qui confirme la règle. Dans les filières d’étude consacrées à  l’informatique, seuls 8 % des étudiants sont des filles. Une représentativité qui, en toute logique, n’augmente guère dans le monde professionnel. L’IT est loin d’être le seul à  rester largement dominé par la testostérone. Ingénierie, construction, métiers manuels, armée, transports publics…

Autant de secteurs qui ont pour point commun de ne plus correspondre à  l’image que l’on s’en fait, assène Thierry Castagne, directeur général d’Agoria Wallonie, la fédération de l’industrie technologique. Pénibilité et saleté pour les uns, austérité et manque de mobilité pour les autres… Les clichés persistent, puissamment. Alors qu’aujourd’hui, lorsqu’on est mécanicien, on n’est plus en salopette avec les mains noires. Et qu’un informaticien n’est pas qu’un geek qui reste des heures derrière son écran.

Les femmes seraient naturellement portées vers des jobs recouvrant une vocation sociétale. Il y a par exemple beaucoup plus de bio-ingénieurs, car c’est une profession qui donne un sentiment d’utilité, qui participe à  l’amélioration de la société, note Thierry Castagne. Une dimension moins évidente dans certains métiers…

Tous ces secteurs n’en finissent pourtant pas de faire les yeux doux à  la gent féminine. Pénuries obligent, il faut attirer les talents. Peu importe le genre. Mais les employeurs souhaitent aussi refléter la diversité de la société, selon le lieutenant-colonel Marc Levenbergh, de la direction des ressources humaines de la Défense.

Prenons deux groupes de travail : l’un est constitué de personnes au même background, l’autre est un mélange de nationalités, de genres et d’âges. On constate que les débuts sont plus compliqués dans le second, mais qu’au final il en ressortira plus de créativité que dans le premier, souligne Murielle Segers, HR manager chez Siemens. Plus qu’il y a dix ans, les femmes deviennent aussi les responsables du pouvoir d’achat, ajoute Els Overbergh, directrice des ressources humaines chez Microsoft. Puisque notre clientèle change, il faut que notre société s’adapte.

Quitte à  pratiquer un brin de discrimination positive à  l’embauche. Comme à  l’armée, où les tests physiques sont les mêmes pour tous, mais où la cotation sera un peu plus souple s’il s’agit d’une candidate. Ou encore chez Bull, société informatique où, si deux personnes sont aussi compétentes l’une que l’autre, on essayera de privilégier la femme, confie Véronique Vander Elst, directrice des ressources humaines. Un dilemme qui tourmente pas mal de firmes, certaines souhaitant toutefois de s’en tenir à  la formule : « la meilleure personne au bon endroit ».

D’autres choisissant de montrer leur culture d’entreprise sous leur meilleur jour. On essaie de créer un environnement de travail qui permet de donner plus de flexibilité, décrit Véronique Vander Elst. Par exemple, on n’organise pas de réunions le soir. Ou on permet aux personnes de travailler le soir, une fois que les enfants sont couchés. Idem chez Microsoft, où les résultats sont préférés au présentéisme. Car on n’a pas besoin d’être assis au bureau de 9 h à  17 h pour être efficace, plaide Els Overbergh. Qui s’empresse d’ajouter que cette mesure vaut aussi pour les hommes. C’est toujours le problème, lorsqu’on aborde les questions liées au sexe. Ce n’est ni tout noir ni tout blanc. On veut être représentatif, mais on a aussi besoin des talents masculins. Simplement, on a constaté qu’il fallait fournir plus d’efforts pour attirer les femmes…

Mélanie Geelkens

20 %

Avec 20 % de filles présentes dans les salles de cours (chiffres 2010-2011), les études d’ingénieur civil figurent parmi celles qui attirent le plus d’étudiantes dans les filières de l’ingénierie. Pour les études d’ingénieur industriel, par contre, les statistiques descendent en dessous de 10 %.

9 300

Selon le dernier rapport d’Agoria, publié au printemps 2012, il manquerait aujourd’hui 9 300 techniciens informatiques en Belgique. 157 000 personnes travailleraient dans ce secteur, soit 20 000 de plus qu’il y cinq ans. Entre 2011 et 2012, le nombre de postes ouverts avait augmenté de 17 %. 

0,8 % 

Tel est le pourcentage de femmes ouvrières dans le secteur de la construction, selon la Confédération construction. Une représentativité très faible, mais en légère progression : il y a quelques années, le taux de femmes ne dépassait pas les 0,4 %. Les filières de l’enseignement secondaire technique et professionnel comportent en général moins de 5 % d’étudiantes.

8 %

Sur les 32 000 militaires que compte la Défense belge, 2 500 sont des femmes, soit environ 8 % des effectifs. C’est parmi les officiers que l’on retrouverait le plus de représentantes de la gent féminine. Par contre, les postes de matelots et de soldats (ceux pour lesquels l’armée recrute le plus) attirent beaucoup moins de candidates.