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Humains, après tout

Date de publication: 24 déc. 2012
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Le travailleur posthumain, scénario possible de l’après-fin du monde ? Autrefois cantonnés à des tâches répétitives, les robots infiltrent peu à peu toutes les professions. Au-delà du réel, ils annoncent un avenir meilleur, mais ils réveillent aussi la crainte de voir disparaître certains de nos emplois.

À la fois miroir et prolongement de l’homme, le robot est souvent perçu de manière ambiguë. Entre attraction et répulsion, à la fois totem et tabou. Des premiers automates jusqu’aux compagnons de jeu qui demain réagiront à nos émotions, en passant par les robots industriels et les drones militaires, les robots infiltrent notre quotidien. Leur présence, encore discrète, va s’accroître rapidement. En 2051, ils seront vigiles, enseignants, contrôleurs dans le train… On vivra dans un monde complètement différent d'aujourd'hui, entourés des robots au travail et à la maison, assistés au quotidien de machines intelligentes, raconte Bruno Bonnell, ex-patron d’Atari, reconverti dans les robots ménagers, qu'il commercialise avec sa start-up Robopolis.

À mille lieues des fantasmes véhiculés par « Metropolis », « Terminator » et autres figures dantesques, le mot « robot » signifie « travailleur », voire « esclave ». Il a été inventé en 1921 par l'écrivain tchécoslovaque Karel Capek. Les robots humanoïdes n'ont pas seulement excité l'imagination des artistes. Les chercheurs continuent à créer des machines imitant notre anatomie. Nao, robot autonome et programmable de la société française Aldebaran, sait se relever seul s'il tombe, raconter des histoires, réagir à un son, suivre un objet des yeux, mais il n'est pas encore le majordome rêvé par ses concepteurs. Pour l'instant, les seuls vrais robots à avoir investi nos foyers sont les robots aspirateurs. Sur le marché depuis dix ans aux États-Unis, ces machines de forme circulaire, équipées de capteurs infrarouges et de détecteurs de choc, sont devenues totalement abordables ces deux dernières années. Le début d’une « robolution », comme veut le croire Bruno Bonnel.  Selon lui, demain, les robots « de services » vont transformer notre quotidien. Le robot sera au service des malades, personnes handicapées et personnes âgées, ou affecté à des tâches pénibles, comme plongeur sous-marin, permettant l'exploitation de ressources inaccessibles à l'homme.

Le temps des machines

Initialement destinés à remplacer l'homme dans les tâches les plus dures, extrêmes (température, pression, anoxie, pollution, irradiation ou contamination nucléaires), les robots sont aujourd'hui plus facilement considérés comme des concurrents de l’homme. À Hong-Kong, le sous-traitant Foxconn, qui produit pour Nokia, Apple ou encore Motorola, a ainsi réaffirmé qu'il souhaitait remplacer 500 000 ouvriers par des robots dans les trois années à venir. Son responsable Terry Gou voudrait même embaucher un million d'automates. En Belgique, la société Intrion, spécialisée dans l’automatisation des tâches, a développé, entre autres, l’orderpicker, un robot unique qui prépare les commandes de fruits et de légumes des magasins. Aujourd’hui, nous travaillons sur des prototypes dotés d’une vision en 3D. Ils sont capables de reconnaître et de manipuler des objets, de préparer des marchandises pour les commandes de supermarchés, explique Chris Vleeschouwers, directeur commercial d’Intrion Belgique. Mais si l’entreprise emploie près de 130 ingénieurs et électromécaniciens pour assurer la construction de ses automates, Chris Vleeschouwers est sans équivoque. Les robots sont devenus très rentables : ils travaillent en continu, rapidement, et peuvent remplacer deux équipes complètes d’ouvriers. Dévorent-ils nos emplois ? Oui, mais surtout ceux qui font fuir les hommes. Par exemple, en mars, nous allons installer un robot dans le département surgelés de Colruyt. Parce que plus personne ne souhaite travailler à – 28 °C.

Craintes fondées ?

Difficile d'accuser Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee d'être technophobes. Tous les deux travaillent au MIT, au sein du Center for Digital Business. Et pourtant, leur dernier livre intitulé « Race against the Machine », fait froid dans le dos. Leur ouvrage explique que, bientôt, chaque emploi pourra être assuré par un robot. Et que ces derniers, de plus en plus qualifiés, finiront par occuper les emplois que l'on croyait uniquement réservés aux hommes. Pour eux, les expériences réussies de voitures sans conducteurs menées par Google dans le Nevada (le véhicule truffé de capteurs a moins d'accidents qu'un homme !) menacent à terme les chauffeurs de taxi ou de bus. Et les récents progrès d'intelligence artificielle permettront de remplacer un jour les comptables, les traducteurs ou encore les conseillers juridiques. Dans son dernier mémo « 5 in 5 », qui présente les innovations susceptibles de transformer notre façon de travailler dans les cinq prochaines années, IBM ne laisse plus de place au doute : l'informatique entre dans l’ère des systèmes cognitifs. En 2017, les ordinateurs seront capables d’apprendre, de s’adapter, de comprendre et de ressentir le monde tel qu’il est réellement. Notamment, en imitant les cinq sens des êtres humains, rapporte le document. L’ouverture d’une nouvelle boîte de Pandore ?

Cette appréhension face aux avancées de la robotique n'est pas partagée par tous. Un article publié par le Frankfurter Allgemeine Zeitung démontre que la généralisation des robots en entreprise est également la source de créations d'emplois : L'automatisation peut faire disparaître des emplois. Mais quand elle rend l'entreprise compétitive et quand l'écoulement des produits est boosté par le processus d'automatisation, la production augmente. Ce qui peut plus que compenser les emplois qui ont été supprimés à l'origine, explique Norbert Irsch, économiste en chef de la banque d'État allemande KfW. Ce point de vue est relayé par un rapport de l'International Federation of Robotics (IFR), « Positive Impact of Industrial Robots on Employment », selon lequel le million de robots utilisé dans l'industrie est à l'origine de la création de trois millions de postes.

Les apôtres de l’homme-machine

La Singularité : c'est la nouvelle folie qui s'empare de la Californie, le berceau des nouvelles technologies. Cette prophétie fait d'autant plus peur qu'on peut en mesurer les signes avant-coureurs tous les jours : d'ici vingt ans, l'intelligence artificielle aura dépassé l'intelligence humaine. Un saut dans l'inconnu comparable au Big Bang ou à l'invention de la roue. Un événement si « singulier » qu'il est impossible d'en prédire les effets. Faut-il craindre un monde où nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle, sciences cognitives (NBIC) et autres puces permettraient à l'homme de surpasser ses limites et « d'augmenter ses performances » ? Pour beaucoup, c'est un cauchemar à la « Terminator », mais pour Ray Kurzweil, éminent futurologue américain, pas question de s'inquiéter. Sans boule de cristal mais avec des équations plein la tête, l'intellectuel américain et ses nombreux apôtres se préparent à entrer dans une nouvelle ère, le « transhumanisme », prévue pour 2045. À cette date, la technologie et l'homme ne feront qu'un, au point de créer un être supérieur à l'espèce humaine actuelle. Au sein d'une très sélective  Singularity University, créée avec le soutien de Google et de l’Agence spatiale américaine, une élite internationale est désormais formée à cette idée. C’est sur un des campus de la Nasa installés en pleine Silicon Valley qu’affluent des entrepreneurs, investisseurs et autres chefs d’entreprise, pour participer à des séminaires de plusieurs jours, inédits et à prix d’or (jusqu’à 25 000 dollars).

 

26 milliards de dollars

C’est ce que va peser la robotique en 2015 sur le marché mondial. 18 milliards devant être appelés par la vente de robots de services (nettoyage, tri, chirurgie…) et 8 milliards pour la robotique personnelle (aspirateur, tondeuses, jouets…). Pas si fou : la robotique connaît une croissance surprenante en Europe. Et, selon l'International Federation of Robotics, le marché des robots domestiques pèsera 100 milliards de dollars (quelque 77 milliards d’euros) à l’horizon 2020, contre 5 milliards l'an dernier.

Des robots inspirés de la nature

L’Allemagne est un pays en pointe sur la robotique, avec des chefs de file industriels comme la société Kuka ou le Groupe Festo. Après un bras robotisé imitant une trompe d'éléphant ou encore un robot-mouette, les ingénieurs de Festo imitent les créatures peuplant les océans. AquaJelly ressemble comme deux gouttes d’eau à une méduse, y compris dans son mode de propulsion, assuré par un système péristaltique et huit bras mous qui se meuvent comme des tentacules. Dernière trouvaille : ExoHand, un exosquelette qui s'enfile comme un gant. Ses applications en milieu industriel sont nombreuses. Pour des ouvriers exécutant des tâches pénibles et répétitives, cette main peut augmenter la poigne. Couplée télémétriquement à une main jumelle, elle devrait aussi permettre de manipuler des objets à distance dans un environnement dangereux. ExoHand pourrait par ailleurs être implantée sur des robots d’assistance aux personnes âgées, dont elle améliorerait l’habileté.

Des robots contrôlés par un cerveau humain

Au laboratoire de robotique de Tsukuba, l'Advanced Industrial Science and Technology (AIST), les chercheurs ne piratent pas les neurones mais ont des ambitions, elles aussi, très futuristes. Cette équipe appartient en effet au projet européen VERE (Virtual Embodiment and Robotic Re-embodiment), qui vise à « dissoudre la frontière entre les corps humains et des avatars ». L'équipe est ainsi parvenue à contrôler un robot humanoïde par la pensée. Plus précisément, un humain coiffé d'un casque électroencéphalographe (EEG) a ordonné à HRP-2, un robot de 60 kg pour 1,50 m, de saisir une canette, puis de se déplacer dans la pièce et enfin de la poser à une place choisie par l'homme. Le tout sans un quelconque pilotage manuel.

Source de plaisirs inédits ?

Pour Ian Yeoman, un chercheur néo-zélandais de l’Université Victoria, spécialisé dans le tourisme, et la sexologue Michelle Mars, pas de doute : les androïdes succéderont bientôt aux professionnelles du sexe. Dans un texte publié dans la revue scientifique « Futures », ils vantent les mérites du sexe avec des robots : oubliées la culpabilité, les maladies vénériennes et la traite des êtres humains. Selon eux, des clubs « libertino-robotiques » pourraient ouvrir à Amsterdam d’ici à 2050. La commune contrôlera directement les travailleuses du sexe en contrôlant prix, horaires et services sexuels, écrivent les chercheurs. Les androïdes seraient faits de fibres résistant aux bactéries et désinfectés entre deux passes, évitant ainsi tout risque de contamination.

Rafal Naczyk