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Interview de Bruno Gebruers

Date de publication: 14 déc. 2009

Une structure et une législation se sont créées autour de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail au cours de la dernière décennie. Les mesures se sont accumulées pour former l'énorme volume du Règlement Général de la Protection au Travail (RGPT) dans lequel tout le monde se perd. Prend-on vraiment la sécurité au travail au sérieux en Belgique? Références a interrogé Bruno Gebruers, ingénieur à  l'Institut pour la Sécurité en Entreprise..

Vous étiez déjà  l'un des premiers chefs de sécurité de l'Hôpital Universitaire de Leuven en 1970. Depuis 1989, vous dirigez l'Institut pour la Sécurité en Entreprises, qui propose les services de consultants en sécurité technique. Votre institut emploie aujourd'hui environ 30 ingénieurs. Y a-t-il réellement des problèmes de sécurité chez nous, ou existe-t-il une tendance actuelle qui suscite un intérêt particulier pour la sécurité?

Le sujet est à  la mode effectivement, mais n'oubliez pas que tout cela est né d'une législation devenant de plus en plus contraignante. Chaque entreprise, qu'elle soit grande ou petite, est obligée aujourd'hui d'avoir un conseiller en sécurité. Dans les petites entreprises, cette tâche est souvent confiée à  quelqu'un qui a déjà  d'autres responsabilités.

Dans les périodes économiques un peu moins prospères, le sujet de la sécurité disparaît des affectations de budget et quand la situation économique est vraiment très prospère, on n'a pas le temps d'y penser. Dans ces moments-là , le conseiller sécurité peut rappeler qu'il faut de nouveaux casques ou un nouveau système de purification d'air, mais si le patron n'y prête pas oreille, ceci deviendra frustrant.

La conséquence: Le conseiller sécurité tâchera de trouver des sujets qui feront mouche ou quittera l'entreprise. Dans ce cas, il faut recommencer la formation d'un nouveau conseiller sécurité. Nous proposons donc aux chefs d'entreprise d'engager un de nos ingénieurs qui travaillera avec eux à  temps partiel, mais qui s'occupe à  plein temps de sécurité.

Nos ingénieurs font des inventaires, des diagnostics et des recommandations. De plus, ils participent à  la réalisation d'une politique de sécurité au sein de l'entreprise. Nous ne sommes que les sherpas, c'est l'entreprise qui doit faire l'ascension de la montagne. Nous portons les bagages jusqu'à  un certain point et indiquons le chemin à  prendre pour la suite, mais ce sont les entreprises qui doivent réaliser le travail elles-mêmes. Tout le monde est prêt à  limiter les risques, mais le niveau de réalisations réelles dépend souvent du budget.

Pouvez-vous nous donner un exemple de la manière dont vous proposez d'éliminer les risques pour la santé?

Le département gériatrique d'un hôpital m'a appelé un jour parce que les infirmières souffraient de rougeurs et d'irritations oculaires. Leurs symptômes disparaissaient dès qu'elles allaient travailler dans un autre département. A partir de là , nous avons entamé une enquête.

Par hasard, j'avais déjà  eu un accident avec du formaldéhyde dans le passé suite auquel je suis devenu très sensible à  son odeur. Lorsque j'ai découvert cette odeur dans le département en question, nous sommes partis à  la recherche de ses foyers. Ce produit désinfectant n'est pas dangereux en soi, mais lorsqu'il entre en contact avec certains acides, il dégage des gaz irritants pour les muqueuses et les voies respiratoires. En grande quantité, ces gaz peuvent provoquer un œdème pulmonaire ou des problèmes respiratoires. Ce n'était heureusement pas le cas ici. Après quelques investigations, nous avons découvert que le formaldéhyde entrait en contact avec l'acide d'un produit de nettoyage dans le puisard. Ce problème fut donc assez facile à  résoudre.

Il faut avoir des connaissances des plus diverses lorsqu'on est conseiller de prévention. Nous avons une clientèle fort diversifiée : des crèches aux maisons de repos, des hôpitaux aux abattoirs et des imprimeurs aux entreprises informatiques. Il est donc logique que les risques soient fort différents d'un client à  l'autre.

Le danger de l'amiante est-il écarté depuis les évènements du Berlaimont ? Depuis 1995 les entreprises ne sont-elles pas obligées de faire un inventaire d'amiante ?

Selon certaines estimations aux Pays-Bas, l'amiante nocif ne sera pas éliminé avant 80 ans. Il a été utilisé à  toutes sortes de fins : de conduites de chauffage au ciment en passant par des matériaux de bricolage et des dalles de vinyle. Ce n'est pas l'utilisation de la fibre en soi qui pose problème, c'est le fait d'y être exposé continuellement en usage industriel. Ceci peut provoquer des verrues. De plus, l'amiante est dangereux si on le coupe, le scie, le ponce ou le fore.

Si vous décidez de nettoyer des dalles d'amiante avec un nettoyeur sous pression, vous envoyez des fibres d'amiante dans votre environnement. Il faut déjà  en avoir inhalé beaucoup pour avoir des problèmes de santé, mais comme ce sont surtout les amiantes bleus et bruns que l'on accumule et que la période d'incubation peut aller de 25 à  60 ans, on imagine aisément que l'on peut accumuler une réserve nocive impressionnante. Le cas du Berlaimont devait être extrême, puisque plusieurs personnes sont décédées affections pulmonaires. Suite à  cela, l'Union Européenne a exigé que ses employés travaillent dans des bâtiments sans amiante. Mais ceci est tout simplement impossible. Certains de mes collègues distribuent des certificats " Garanti sans amiante ", ce que je ne ferai jamais. Un four électrique dans une maison toute neuve suffit pour introduire de l'amiante dans le bâtiment. Tout au plus, il y a moyen de sécuriser le lieu en évitant d'exposer les gens aux fibres d'amiante volantes.

Si notre pays veut éliminer toutes les utilisations à  risque de l'amiante dans les bâtiments publics - une idée sur laquelle la Régie des Bâtiments travaille en ce moment - cela coûtera au moins 5 milliards de francs. Vous constatez donc que le problème de l'amiante n'appartient pas encore au passé.

Quels sont les risques qui existent toujours dans nos entreprises ?

Il y a autant de risques dans la manipulation des matériaux ou des machines que dans la fibre elle-même. A quoi sert l'aspirateur de fibres si le mécanicien ne le branche pas ? Certaines machines prévoient des systèmes de protection spéciaux, mais comme elles fonctionnent parfois mieux sans, les ouvriers les enlèvent tout simplement.

Que faut-il penser des dangers de radiation de l'ordinateur et du GSM ?

Le mot radiation évoque immédiatement des sentiments d'insécurité, alors que nous y sommes exposés constamment. D'énormes progrès ont été faits dans la limitation des dangers de radiation de certaines machines. Le taux d'ozone des imprimantes et des photocopieuses par exemple. Vous vous souvenez sans doute de l'époque où un autocollant sur la copieuse demandait de bien la fermer avant de copier pour éviter les rayons. Lorsqu'on mesure les rayons ultraviolets dégagés par des machines d'aujourd'hui par rapport à  celles d'il y a dix ans, on en trouve 10 fois moins !

En ce qui concerne les ordinateurs : une télévision dégage beaucoup plus d'ondes, mais là  encore, on peut à  peine parler de danger.

Les radiations des GSM sont les plus élevées dans des espaces fermés et au moment où vous cherchez la connexion. Dès que celle-ci est établie, le facteur de rayonnement est divisé par 10. Mais pour savoir si c'est nocif ou non, il faudrait procéder à  des essais in vitro. Qui les paiera ? Les entreprises qui fabriquent les appareils ?

Interview: Ria Goris