Chez Capaul, l'alternance est enracinée dans les gènes

Ludwig Henkes dirige Capaul depuis 1988. A ses yeux, 95 % de la réussite de cette entreprise spécialisée dans la mécanique de précision repose sur les formules d'apprentissage au profit des plus jeunes. « C'est enraciné dans nos gènes », dit-il. 

Quelle est l'ampleur des formules d'apprentissage en alternance chez Capaul ?

L'entreprise employait 12 personnes quand je l'ai reprise en 1998, et générait un chiffre d'affaires de 500.000 euros. Nous employons désormais plus de 80 personnes, et générons plus de 10 millions d'euros de chiffre d'affaires. Je n'hésite pas à affirmer que c'est le succès de nos formules d'apprentissage qui a généré 95 % de ce succès. Nous avons en effet formé plus de 50 personnes à l'usinage et à la mécanique de précision par ce biais, et nous continuons à engager chaque année jusqu'à 3 apprentis. Autant dire que je suis un fervent défenseur du système !

Quels en sont les avantages ?

Pour l'entreprise, c'est évident. Il n'y a pas assez de profils techniques, et c'est dès lors la disponibilité ou plutôt l'absence de disponibilité de main d’œuvre qualifiée qui influence notre rythme de croissance. Nous pourrions évidemment aller chercher ces compétences dans d'autres entreprises, mais cela nous exposerait au même risque en retour (des concurrents viendrait chercher des gens chez nous...) et on tournerait en rond. Donc, plutôt que de débaucher du personnel ailleurs, nous préférons le former. Cela ne coûte pas très cher, c'est très efficace, et cela nous garantit un recrutement de très grande qualité.

Quel est l'intérêt pour le jeune ?

Tout le monde n'a pas envie de se lancer des études théoriques. Nombre de jeunes seraient probablement plus heureux en recevant une formation pratique, sur le terrain, qui leur garantit un emploi de qualité, plutôt qu'en poursuivant des études qui ne les intéressent pas et qui vont peut-être, dès lors, les conduire à l'échec. En alternant la formation théorique et le stage en entreprise, le jeune à accès aux machines, numériques notamment, les plus performantes pour apprendre son métier. Il est plongé dans le monde du travail sans en subir la pression : il est là pour apprendre, pas pour être directement hyper-performant, et peut envisager une carrière. Il pourra même, plus tard, bénéficier de passerelles pour poursuivre une formation plus théorique s'il le souhaite.

Comment s'effectue concrètement cet apprentissage ?

Mon mot d'ordre est très clair : d'abord « bien », et puis « vite », dans cet ordre-là. Donc, on leur laisse le temps d'apprendre à bien maîtriser les critères de qualités (c'est crucial quand on a des clients dans l'aéronautique, notamment), avant de les imprégner de la réalité de la production industrielle, qui a ses exigences de productivité. Mon deuxième mot d'ordre est : « transparence absolue ». Chacun a le droit à l'erreur, et est même félicité s'il la détecte lui-même car cela lui permet de s'améliorer ou d'améliorer les procédures. Ce qui est strictement interdit, en revanche, c'est de cacher son erreur !

Les collaborateurs sont-ils plutôt fiers ou réticents à l'idée de transmettre leur savoir-faire ?

C'est pour eux une très grande fierté ! Pour une raison simple : la plupart d'entre eux ont bénéficié en étant jeune de ce transfert de compétences et ils sont heureux de pouvoir désormais en faire profiter la jeune génération. Le grand avantage, chez nous, c'est qu'il ne faut pas persuader les gens : ils y adhèrent d'emblée car ils savent que cela fonctionne. C'est vraiment enraciné dans nos gènes, depuis plusieurs générations.

Comment expliquez-vous cette approche positive, alors que la formule a longtemps été décriée en Wallonie ?

Nous sommes en Communauté germanophone, et donc à proximité directe de l'Allemagne où la formation en alternance est plébiscitée de longue date. On entend très régulièrement de grands patrons allemands, chez Mercedes-Benz, à la Deutsche Bahn ou ailleurs, souligner qu'ils ont bénéficié de ce système alors qu'en Belgique ou en France les patrons mettent d'abord en avant leur diplôme universitaire. Avoir tâté du terrain étant jeune est en réalité un grande source de légitimité pour un patron. Il s'agit donc d'un système qui, en plus d'être très efficace, est fortement lié à la culture industrielle d'une région, d'un pays.

Pourquoi, dès lors, cela ne fonctionne-t-il pas chez nous, à l'exception de la Communauté germanophone où Capaul est régulièrement cité en exemple ? 

Il fut un temps où cela fonctionnait bien. Il y a quelques décennies à peine, on évoquait par exemple avec fierté le fait d'avoir été formé par la FN en région liégeoise. Le problème, c'est que les métiers techniques ont été progressivement dévalorisés, de même que les filières qui y mènent : « Tu ne sais pas étudier, donc tu vas aller dans l'enseignement technique, dans l'enseignement professionnel, ou tu vas aller travailler comme apprenti. » La formation en alternance a été perçue comme une filière de relégation... alors qu'elle devrait être une filière d'excellence.

Comment améliorer cette image ?

En communiquant, en sensibilisant. Rien n'est jamais acquis, et c'est la raison pour laquelle nous allons par exemple accueillir chez nous, le 24 avril prochain, une action menée en partenariat : « Avenir Métal – Zukunft Metall », afin de valoriser les métiers qui sont liés au secteur du métal auprès des élèves, des apprentis. Nous veillons en Communauté germanophone à entretenir les contacts entre les mondes de l'entreprise et de l'enseignement afin que chacun comprenne mieux les attentes et les contraintes réciproques. Mais au-delà des structures, il y a la volonté des personnes. Je me suis également investi dans des collaborations avec Technifutur et avec des écoles liégeoises afin d'accueillir des apprentis chez nous. Je suis très heureux que la Région wallonne redécouvre cette formule et soit soucieuse de la valoriser.

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