Le budget mobilité, trop tôt pour l’appliquer ?
D’après une enquête menée par SD Worx en juin 2022 auprès de 612 chefs d’entreprise et responsables du personnel de PME, la majorité des PME belges connaissent le concept de budget mobilité lancé il y a trois ans, mais ne le considèrent pas encore comme approprié. En Wallonie, moins de 1 % l’utilisent.
Colette Pierard est responsable de la Cellule mobilité de l’Union wallonne des entreprises (UWE), qui aide les entreprises dans leurs démarches en faveur d’une meilleure gestion de la mobilité. La Cellule mobilité a aussi créé un Réseau des Mobility Managers qu’elle réunit trois fois par an sur des thématiques particulières, avec des experts et des témoins d’entreprises.
Comment expliquez-vous que le budget mobilité ait si peu de succès auprès des entreprises wallonnes ?
Le budget mobilité devrait permettre à ceux qui ont droit à une voiture de société d’avoir le choix entre une voiture de société, diverses solutions de mobilité et du cash, ou de renoncer à la voiture pour les options de mobilité (abonnements de transport en commun, leasing vélo, remboursement de la location de votre résidence ou des intérêts de votre crédit hypothécaire si vous habitez à moins de 10 km de votre lieu de travail ou si vous faites au moins 60 % de votre temps de travail en télétravail…). La formule rencontre peu de succès parce qu’elle est encore peu connue. Beaucoup d’entreprises la trouvent compliquée à mettre en œuvre. C’est vrai, mais il existe des services et des applications qui peuvent aider.
Le montant maximum du budget mobilité, à savoir 1 5e du salaire plafonné à 16.000 euros, rebute certains hauts salaires qui y perdent. D’autant que des voitures électriques haut de gamme coûtent très cher. Il y a encore beaucoup de leasing en cours. Ils ont aussi souvent été prolongés, et donc, on n’est pas encore au moment où on peut passer au budget mobilité.
Quelle place occupe encore la voiture de société dans le monde des entreprises ?
Elle occupe encore une place importante dans les sociétés, pour permettre de payer des salaires plus élevés à une partie du personnel, parce que le coût du travail en Belgique est vraiment très élevé. Le jour où la fiscalité sur le travail diminuera, on aura peut-être moins de voitures de société. La difficulté pour les entreprises aujourd’hui, c’est l’obligation de transformer progressivement leur flotte de véhicules de société en véhicules zéro émission, puisqu’à partir de 2026, les voitures qui ne seront pas entièrement électriques ne pourront plus bénéficier d’un abattement fiscal. Et il y a encore beaucoup de flou juridique autour des normes de sécurité pour l’installation des bornes dans les entreprises et autour de la recharge à domicile.
De quels leviers disposent les entreprises pour limiter leur empreinte écologique en matière de mobilité ?
Il y a plein de choses à faire. Principalement, désigner un Mobility Manager qui va s’occuper des questions de mobilité dans l’entreprise, assurer un suivi et aller au fond des choses. Il y a toute une série de leviers fiscaux que l’on peut mettre en place, tels que le remboursement des abonnements aux transports en commun, l’indemnité vélo incluse dans de plus en plus de conventions collectives de travail. Si un covoiturage est organisé, il y a une déduction forfaitaire de l’avantage fiscal, et si l’entreprise conclut des contrats de tiers-payant avec les sociétés de transports en commun, elle recevra directement la facture de l’entreprise de transport et les 6 % de TVA seront défalqués, tandis que le travailleur ne devra payer que la partie qui lui revient directement. Pour le train, il y a la formule 80 20 dans laquelle, si l’entreprise rembourse 80 % de l’abonnement, l’État fédéral prend en charge les 20 % restant. L’entreprise peut aussi installer des parkings vélos sécurisés, des douches et des vestiaires pour l’ensemble du personnel, afin d’encourager l’usage du vélo, organiser une navette privée pour aller chercher ses employés à la gare, réserver des places de parking proches des entrées pour favoriser le covoiturage, organiser le retour garanti… L’entreprise dispose de multiples moyens de lever à moindre coût les freins à la mobilité alternative, et tous les aménagements qu’elle peut faire sont entièrement déductibles fiscalement pour elle.
Il y a aussi la mise en place du télétravail. Pour le travailleur, il y a toute une série de primes s’il est organisé et structurel, c’est-à-dire s’il y a un avenant au contrat de travail qui fixe les règles du télétravail. C’est l’employeur qui choisit si ce seront des indemnités forfaitaires mensuelles, une mise à disposition de matériel…
Quel est l’intérêt du télétravail ?
Pour le travailleur, c’est le gain de temps économisé en déplacements non faits, et pour la société, ça permet de lisser les embouteillages aux heures de pointe : 10 % de télétravail résolvent une bonne partie des embouteillages. De leur côté, les entreprises pourront réduire leurs surfaces de bureaux, mais cela ne réduira pas fondamentalement le nombre de déplacements ni le nombre de kilomètres parcourus, parce que les autres petits déplacements, pour faire les courses ou conduire les enfants à l’école, auront quand même lieu. Par ailleurs, on ne sait pas encore si cet hiver, les gens reviendront au bureau, chauffé, pour éviter les frais énergétiques à domicile.
Quel est le rôle de chacun dans l’élaboration d’un plan de mobilité ?
Il est très important, dans une entreprise, que les cadres et la direction aient la volonté de soutenir un plan de mobilité : c’est elle qui va débloquer les fonds nécessaires pour les aménagements, l’instauration des diverses indemnités, l’engagement d’un Mobility Manager…
Mais tout le monde est partie prenante. Le travailleur doit aussi accepter de changer sa mobilité. Les entreprises peuvent actionner tous les leviers disponibles, si les travailleurs ne jouent pas le jeu et ne sont pas prêts à se priver de leur voiture, leur « liberté », cela ne fonctionnera pas. Ce qui peut être intéressant dans les entreprises, ce sont les ambassadeurs qui présentent les avantages de certains modes de transports à leurs collègues. Les syndicats ont évidemment un rôle à jouer. Ils ont des équipes qui peuvent se déplacer dans les entreprises pour sensibiliser les travailleurs. Dans les hôpitaux, ce sont souvent les syndicats qui sont à l’initiative des plans de mobilité.
Quelle proportion des entreprises wallonnes ont un Mobility Manager ?
C’est une fonction relativement récente, qui existe depuis une vingtaine d’années. Souvent, les Mobility Managers ont une autre fonction et s’occupent aussi de mobilité. Dans les entreprises de plus de 100 travailleurs en Wallonie, 15 % auraient un Mobility Manager, contre 18 % pour la Belgique. Par contre, 24 % des travailleurs wallons auraient un Mobility Manager dans leur entreprise ; c’est 34 % pour les travailleurs belges.
La personne désignée pour s’occuper des questions de mobilité doit avoir l’écoute de la direction, mais aussi celle des services techniques, des services RH. Elle doit aussi avoir ses entrées au service Communication, pour communiquer, communiquer, communiquer. Faciliter une mobilité plus durable et moins chère nécessite surtout beaucoup de communication et d’activités de sensibilisation. Il faut aussi que le Mobility Manager ait de très bonnes relations avec ses collègues et soit convaincu, se mouille et sache de quoi il parle.
Quel est le rôle du Réseau des Mobility Managers ?
Ces personnes sont généralement seules dans leur entreprise. Nous les réunissons trois fois par an sur des thématiques, avec des experts et des témoins d’entreprises, dans une entreprise qui a quelque chose à montrer dans ce domaine. Le réseau permet d’apprendre à se connaître, de réseauter via un groupe LinkedIn privé, d’échanger les bonnes pratiques, de conseiller. En plus des six jours de formation gratuite, le réseau offre une formation continue par la discussion avec des pairs.
Colette Pierard est responsable de la Cellule mobilité de l’Union wallonne des entreprises (UWE).