Le consultant dit à ‘‘quoi penser’’. Le philosophe aide à ‘‘comment penser’’

Partena

De gauche à droite. Alice Herinckx et Gabrielle Goldfischer, recruteuses chez Partena Professional; Victor De Meunynck, Consultant Payroll Partners Center chez Partena Professional; Bruno Ronsse, CEO de Partena Professional; Anne-Sophie Noël, Corporate & Internal Communication Manager chez Partena Professional; Luc de Brabandere, philosophe d’entreprise.

En 2017, Partena Professional décidait d’abandonner le mode de management pyramidal classique au profit du modèle de gouvernance collaborative. En chemin, la crise sanitaire s’est invitée, ajoutant une solide couche d’incertitudes à ce qui amenait déjà une recherche de nouveaux repères. D’où l’idée de faire appel au philosophe Luc de Brabandere afin de soutenir l’adhésion, de clarifier les concepts et d’aider à les traduire au quotidien.

Bien connu des entreprises et des indépendants, Partena Professional est une entreprise de services qui emploie quelque 1.500 collaborateurs. Depuis juillet, Bruno Ronsse est à son pilotage, après un parcours mené dans le secteur technologique. « Le changement y est permanent et les transformations ont forcément été nombreuses, confie-t-il. Le monde du secrétariat social, en comparaison, a encore relativement peu changé. Partena Professional est en cela pionnier : la transformation initiée en 2017 vise à quitter une organisation de type pyramidal traditionnel au profit d’une organisation collaborative dont l’autonomie et la responsabilité forment l’alpha et l’omega. Dans un premier temps, cette transformation a été menée en mode projet. Aujourd’hui, notre défi est de l’inscrire dans notre culture et notre identité. »

Flash-back : en février 2021, 70% des équipes sont entrées dans la nouvelle gouvernance et des difficultés se font ressentir. « Nous avons pu observer que certains des éléments de vocabulaire pouvaient être mal compris, confie Anne-Sophie Noël, Corporate & Internal Communication Manager. L’autonomie, par exemple, était confondue avec la liberté. Or, ce n’est pas parce que je suis autonome que je suis libre de faire tout ce que je veux. Même en gouvernance collaborative, il subsiste un capitaine, une équipe de direction et un cadre dans lequel se place l’autonomie. »

Pour répondre à ce besoin d’une compréhension plus fine — qui pouvait parfois mener sinon à des conflits, du moins à des conséquences au quotidien —, appel a été lancé à un regard externe, celui du philosophe d’entreprise Luc de Brabandere. Avec un rôle de nature très différente de celui dévolu au consultant. « Bien sûr, des consultants ont accompagné la transformation en tant que spécialistes de la gouvernance collaborative, explique-t-elle. Ils ont abordé les choses de manière technique. C’est ce qui était attendu d’eux. Avoir un code de gouvernance et des règles est nécessaire, mais relève du rationnel. Ce n’est pas suffisant pour créer l’adhésion, pour cerner ce que l’on ressent quand on vous demande de changer, pour entrer dans le modèle en profondeur. Il importe également de déclencher une émotion positive. J’ai eu l’impression que la philosophie pouvait nous aider. »

Partager une passion

D’emblée, Luc de Brabandere a posé qu’il ne parlerait pas de Partena Professional, ni de ce que l’entreprise mettait en place. « Cela peut paraître surprenant, mais il s’agit d’un choix excellent. Parler du changement et de la perception du changement, d’adulte à adulte, était bien plus intéressant pour le collaborateur. Chacun pouvait ainsi réaliser son propre trajet. La maturité par rapport à un modèle en transformation reste de toute façon individuelle. Des émotions sont enclenchées — que ce soit l’adhésion, la résistance, le fait d’être ambassadeur… Nous avons eu énormément de retours positifs sur cette façon de nourrir l’intelligence collective qui est d’ailleurs intrinsèque au modèle. »

En début de carrière, Luc de Brabandere a été professeur de mathématiques. Le rationnel, il connaît. « J’adore les maths, raconte-t-il. En fin de journée, un prof de maths est content si ses élèves savent faire ce que lui-même savait faire le matin, s’il leur a transféré le savoir. Cinquante ans plus tard, je me retrouve prof, de philosophie cette fois, mais le plaisir ne vient plus du tout d’un quelconque transfert de savoirs. La philosophie, ce n’est pas savoir que Platon est né avant Aristote. Aucune importance ! Un prof de philo partage sa passion. Il n’apprend pas la philosophie. Il apprend à philosopher. Je me sens d’ailleurs beaucoup plus professeur de gymnastique — intellectuelle — que quoi que ce soit d’autre… »

Un code de gouvernance est de l’ordre des mathématiques. « Au fil des années, je me suis rendu compte que le défi ne résidait pas sur ce qui est chiffré, ou chiffrable. Dans les organisations, toute la partie chiffrée — la comptabilité, l’informatique, les stocks, l’énergie — est gérée. Être rigoureuse avec les chiffres, l’entreprise sait le faire. Elle est par compte démunie sur le non chiffré — l’esprit d’équipe, le stress, l’image de marque, la créativité… La philosophie constitue ici une magnifique boîte à outils qui permet d’être rigoureux quand il n’y a pas de chiffre. »

Prenons un exemple : l’esprit d’équipe. « Admettons qu’on trouve qu’il n’est pas bon, qu’il faut l’améliorer, illustre-t-il. Comment l’évaluer ? Il n’existe pas d’espritdéquipomètre. Le danger est alors de sombrer dans le Café du Commerce, là où l’on dit des banalités pleines d’un gros bon sens, mais dépourvues de profondeur et de finesse. La philosophie permet de lutter contre le Café du Commerce. Par l’exercice du critère, par exemple, qui est un des essentiels de la boîte à outils du philosophe : ‘Dites-moi, dans un an ou deux, ce qui vous fera dire que vous avez amélioré l’esprit d’équipe’. Le consultant vient avec du savoir, dans le positionnement du prof de maths. Il dit à ‘quoi penser’. Le philosophe aide à ‘comment penser’. Quand je dis que je ne connais pas Partena Professional, c’est tout à fait vrai. Et je n’en ai pas besoin. La pensée est un jeu. Comme dans tous les jeux, il existe des règles et certaines personnes jouent mieux que d’autres. La philosophie consiste à dire : ‘C’est vrai que nous ne jouons pas très bien. Faisons une pause, prenons le temps de bien comprendre les règles’. Les règles de la pensée sont multiples. Les règles du changement sont multiples. Les règles de la transformation sont multiples. Clarifions, puis reprenons la partie ! »

Revenir à l’essentiel

En pleine crise sanitaire, l’équipe de communication interne chez Partena Professional a créé une émission télé — nommée de façon décalée CAT Radio, pour Culture, Agilité, Transformation — afin de répondre au besoin de reconnexion alors que les effectifs étaient confinés à domicile, en télétravail obligatoire. Ce canal est apparu idéal pour y déployer la démarche de rencontre avec le philosophe. « D’où mon insistance pour réaliser l’émission en direct, appuie Luc de Brabandere. Nous avons procédé de façon interactive, avec des questions auxquelles les collaborateurs étaient invités à répondre. Lequel parmi des personnages cités incarne le plus le changement ? Si il fallait envisager une fusion de Partena Professional avec une entreprise d’un tout autre secteur, laquelle choisiriez-vous ? Etc. —, en utilisant ensuite les réponses pour faire passer le message que changer, c’est changer deux fois : changer les choses et changer la manière de voir les choses. L’un ne peut aller sans l’autre. Et réciproquement. »

L’émission a été suivie par plus de la moitié des effectifs, avec la possibilité d’également la visionner en différé par la suite. « Sans être physiquement ensemble, nous étions mentalement réunis, se félicite Anne-Sophie Noël. L’exercice s’est ensuite poursuivi dans notre journal d’entreprise, About Us, envoyé au domicile des collaborateurs. De tels outils peuvent paraître d’un autre âge, mais précisément : ils correspondent aux besoins de notre temps, et plus encore dans le travail post-Covid. Les confinements ont généré une surabondance d’outils digitaux — tels Teams, WhatsApp, Messenger, etc. — ce qui met un service de communication à l’épreuve. La crise sanitaire a en outre introduit les pratiques de communication virale dans les entreprises. Face à cette dilution de la communication, revenir à l’essentiel permet d’avoir de l’impact et de remettre de la clarté. »

Pour Luc de Brabandere, la règle n°1, c’est qu’on ne peut pas ne pas changer. « Impossible de garder quoi que ce soit immuable. Simplement parce que le monde change. La difficulté réside dans le fait qu’il change en continu, mais que l’organisation ne peut pas changer en continu. Il y a dès lors des arbitrages à opérer. La règle n°2, c’est que personne n’aime changer. Enfin, tout naît comme un projet. Puis, un jour ou l’autre, le projet devient structure. Le problème — c’est inévitable —, c’est que la structure devient rigide et, parfois, oublie le projet ou doit changer le projet. Si plus personne ne sait répondre à la question de savoir quel est le projet, on ne sait plus décider. La question du sens, du pourquoi, est un retour au projet. »

Vivre le changement

Cet enjeu demeure central aujourd’hui, chez Partena Professional. « La différence entre les transformations qui échouent et celles qui réussissent tient en l’appropriation du pourquoi, d’un récit, d’un état futur désiré, souligne Bruno Ronsse. Une transformation n’a pas pour finalité une structure. Une transformation est un moyen pour une fin, et non une fin en soi. Avant de venir chez Partena Professional, j’ai travaillé dans une start-up et, dans ces environnements, la question du pourquoi est obsessionnelle : on sait qu’on est là pour changer le monde ‘de telle façon’. Et tout en découle. Notre défi est là : passer de l’état de projet à une culture collaborative. J’entends encore parler de la transformation comme s’il s’agissait d’aller d’un point A à un point B, comme quelqu’un qui marche dans le désert et veut atteindre une oasis. Une image qui me parle davantage est d’apprendre à devenir un peuple nomade : l’oasis est une étape ; le désert, notre réalité… essayons de vivre le changement permanent de façon harmonieuse, et non comme une perspective terrifiante. »

Ce qui invite à installer la démarche philosophique dans la durée. « Elle peut en effet nous aider à dépasser la transformation pour réfléchir collectivement à la finalité, à la raison d’être, aux missions de Partena Professional, pointe Anne-Sophie Noël. Par une dialectique comparable à celle menée autour de l’autonomie/de la liberté ou du projet/de la structure, nous pourrions affiner le sens global de ce que nous faisons. Partena Professional n’est pas là pour ‘gérer des dossiers’, mais pour être un acteur clé de l’économie. Grâce à la qualité de notre travail, nous aidons le client à être résilient par rapport aux crises et à être encore là demain. Si le collaborateur se dit qu’il ne fait pas seulement une paie, mais qu’il contribue à une économie plus durable, nous avons réussi à changer les repères mentaux. »

La philosophie peut y aider, d’autant plus que les temps sont bousculés. « Toute une série de situations qui nous paraissaient impossibles se sont réalisées, conclut-elle. L’élection de Trump, une pandémie mondiale qui a mis le monde à l’arrêt, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’explosion de nos factures d’énergie, etc. Le monde est plus challengeant que jamais. Ne perdons pas de vue que, quand nous demandons à nos collaborateurs d’entrer dans une transformation, tout cela existe en toile de fond. La perte des repères au plan professionnel se combine à la perte des repères dans la société dans laquelle nous évoluons tous. Or, lorsqu’on perd ses repères, on perd parfois également la nuance. On passe alors par des raccourcis. Il importe de retrouver un équilibre. Le recours à la philosophie invite à s’arrêter, à se poser et à se doter de clés de lecture pour que chacun se positionne et que nous puissions faire ensuite le chemin ensemble. »

Trouver du sens

Consultant Payroll Partners Center chez Partena Professional, Victor De Meunynck a vu la transformation vers la gouvernance collaborative comme une vraie valeur ajoutée dans sa décision de rejoindre l’entreprise. « Auparavant, on était engagé par un employeur pour faire un job, explique-t-il. Avec les confinements, nous nous sommes retrouvés à faire notre job seul chez nous. Ce qui, pour beaucoup, a posé des questionnements identitaires : à quoi je contribue, quelles sont mes opportunités de me développer, quels autres rôles puis-je endosser, comment se sentir soi-même dans une entreprise qui me correspond ? Le nouveau mode de fonctionnement de Partena Professional permet de s’exprimer, de participer à des projets, d’avoir un impact. Bref, de trouver du sens. »

Être au clair

Cet exercice de clarification réalisé avec le philosophe Luc de Brabandere se révèle utile pour les recruteurs de Partena Professional. « Le marché des candidats que nous ciblons est relativement saturé, observe Gabrielle Goldfischer. Le fait d’ajouter la gouvernance collaborative à notre marque employeur apporte tout un nouvel essor de possibilités pour les personnes qui se sentent à l’étroit dans une structure pyramidale traditionnelle où l’autonomie, la créativité et un regard plus large sur les responsabilités ne sont pas prônés. C’est attrayant pour les candidats. Il nous faut toutefois avoir les clés pour partager ce projet avec eux. » D’autant qu’il s’agit d’un mode d’organisation qui convient à certains, mais pas à d’autres, ajoute Alice Herinckx. « L’autonomie peut plaire. Elle peut aussi faire peur. Il nous faut être au clair avec les concepts pour assurer la bonne correspondance de la personne au projet d’entreprise. Il convient également d’être transparent sur le fait que nous sommes sur un chemin de transformation. Un chemin sur lequel les candidats vont pouvoir être acteurs, mais sans qu’ils n’aient non plus l’impression qu’ils vont pouvoir tout faire jusqu’à oublier le rôle pour lequel ils sont engagés. Chez Partena Professional, on peut sortir de son rôle, prendre d’autres casquettes, mais avec une temporalité. On ne va pas changer de rôle chaque semaine… »

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