Les femmes managers s’impliquent
Pour la cinquième année, le Wo.Men@Work Award vient de récompenser un CEO ayant contribué au développement de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes au sein d’une entreprise implantée en Belgique. Il revient cette année à Michèle Paque, Managing Director de Quintiles Benelux.
Initiative lancée en 2010 par l’entreprise sociale Jump qui promeut l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, le Wo.Men@Work Award – soutenu cette année par Coca-Cola – vient de désigner sa nouvelle lauréate. Mais en cinq ans, quelles ont été les évolutions ? Nous remarquons que les entreprises se fixent de plus en plus d’objectifs en termes de chiffres, c’est-à -dire entre 25 % et 35 % de femmes à tous les niveaux de management. C’est très positif, car c’est ce qui manque encore aujourd’hui : des objectifs quantitatifs et des indicateurs de performance, explique Isabella Lenarduzzi, leader de Jump. Mais l’égalité de traitement est aussi très importante, car toutes les statistiques montrent qu’il reste de grandes différences, notamment en ce qui concerne les avantages extralégaux. Cette année, nous avons une gagnante qui a clairement mis en avant dans son dossier de candidature l’attention qu’elle portait à l’écart salarial : trop d’entreprises ont encore tendance à se dire que ça va de soi alors que ce n’est toujours pas le cas.
La carotte et pas de bâton
Aujourd’hui, l’égalité professionnelle est en grande partie garantie par la loi. Les entreprises sont ainsi sommées de rendre compte de leurs efforts en termes d’égalité hommes-femmes dans leur bilan social. Mais quand on se penche sur la mise en application concrète de ces principes, c’est une autre histoire ! La France a mis en place un classement des entreprises les plus méritantes en termes d’égalité professionnelle tout en envoyant une mise en demeure à celles qui ne remplissent pas les obligations sociales. Au-delà de quoi il existe des pénalités financières ! C’est donc à la fois la carotte et le bâton. En Belgique, les pouvoirs publics et en particulier politiques ne garantissent pas la mise en application de ces lois, déplore Isabella Lenarduzzi. À défaut de voir sanctionner les entreprises qui poursuivent une politique discriminatoire, le Wo.Men@Work Award donne donc un coup de projecteur sur les bonnes volontés et les pratiques inspirantes. Car, rappelle Isabella Lenarduzzi, c’est la diversité qui garantit la compétitivité et la créativité d’une entreprise.
Cette année, les trois nominés pour l’Award étaient donc des nominées : Annik Bosschaerts, COO de The Bank of New York Mellon, Caro van Eekelen, COO d’Accor Hotel Services Benelux et Michèle Paque, Managing Director de Quintiles Benelux et gagnante de l’édition. Si, sur cinq éditions, deux lauréats étaient des hommes, ce panel 2014 très féminin inquiète paradoxalement la leader de Jump. Je regrette qu’au fur et à mesure des années, il y ait de moins en moins d’hommes qui soient candidats à l’Award. Est-ce que ça montre que les hommes pensent que ce n’est pas à eux de mener ce combat ? Si c’est le cas, c’est dangereux, car les femmes ne représentent toujours que 3 % des CEO d’entreprises... J’espère bien que l’année prochaine, les hommes seront plus nombreux à postuler !, conclut Isabella Lenarduzzi.
Julie Luong
Michèle Paque : une lauréate empathique et optimiste
Aujourd’hui à la tête de Quintiles Benelux, leader dans le secteur du healthcare outsourcing, Michèle Paque, née en 1964, compte vingt-cinq ans d’expérience dans l’industrie pharmaceutique. Comme beaucoup de femmes de sa génération, elle a dû se battre deux fois plus qu’un homme pour en arriver là . Un parcours qui l’a durablement sensibilisée à la question de l’égalité.
Après avoir obtenu une maîtrise en logopédie, vous êtes devenue déléguée médicale dans l’industrie pharmaceutique. À 27 ans, vous êtes promue manager : une exception pour une femme à cette époque ?
Oui, j’ai été promue à ce poste de manager avec deux autres femmes et nous étions les trois premières ! À l’époque, c’était perçu comme tout à fait extravagant ! Ensuite, j’ai senti que la majorité des gens s’attendait à ce que je ne puisse pas assumer ce poste : cela n’a donc pas été facile d’autant que j’étais la plus jeune du groupe. Les obstacles étaient permanents, il fallait sans cesser chercher l’alternative pour pouvoir avancer.
Comment se manifestaient concrètement ces obstacles ?
Il y a le verbal et le non-verbal, et on sait que ce dernier compte pour 80 % dans la communication... Les sous-entendus, les sourires quand je m’exprimais en public, les gens qui arrivaient en retard aux réunions que je menais... J’ai senti très vite ce triple challenge que chaque femme a à mener : le challenge professionnel puisqu’il faut réaliser des performances ; le challenge qui consiste à prouver que oui, une femme peut le faire ; et le challenge d’avoir en même temps une vie familiale.
Vous avez vous-mêmes deux fils de 18 et 20 ans. Estimez-vous avoir été freinée dans votre avancement par la maternité ?
Le signal qu’on m’envoyait était clair : de toute manière, avec un enfant, tu ne vas pas y arriver. Donc, j’avais déjà cette culpabilité en tant que femme, ce poids social qui vient aussi de la famille et des amis. Concernant l’entreprise, je dirais qu’on m’a laissé le choix : c’est moi qui ai décidé à un moment d’arrêter pendant six mois, car j’estimais ne pas voir assez mes enfants. J’ai eu le sentiment que c’était ma décision, mais une décision qui avait été prise en fonction de tous ces éléments...
Votre engagement actuel en faveur de l’égalité est-il directement lié à ce parcours personnel ?
Cela m’a permis de développer une sensibilité qui me rend plus forte aujourd’hui. Cela m’aide à voir les performances des gens, mais aussi ce qui les freine et donc à encourager les talents d’une manière différente que certains de mes collègues. Et j’ai une énorme empathie pour toutes ces femmes qui osent se lever parce qu’elles ont dans leur tête, dans leur cœur et dans leurs jambes des choses à exprimer. J’ai envie de les soutenir, mais aussi d’accepter les moments de faiblesse : vous ne pouvez pas effacer en un coup de baguette magique le vécu de dizaines de générations qui vous ont précédée. Il est bien normal que des ressentiments soient parfois présents, mais on est là pour faire évoluer les choses.
Concrètement, vous mettez un point d’honneur à assurer une totale égalité de salaires entre hommes et femmes…
Absolument. Nous utilisons pour cela des cadrans de performance. On ne regarde donc absolument pas si vous êtes un homme ou une femme ni quelle est la couleur de votre peau. Depuis des années, le taux de promotion des hommes et des femmes chez nous est donc identique. Mais pour en arriver là , il faut aller le plus loin possible dans les facts and figures : quand on objective les performances, le mur tombe et il peut y avoir une réelle émulation sur les compétences.
Diriez-vous qu’aujourd’hui, vous travaillez dans une ambiance beaucoup plus égalitaire qu’il y a vingt-cinq ans ?
Ça n’a plus rien à voir ! Nous sommes dans une zone de transition et j’espère vraiment que dans vingt ou trente ans, cela sera tellement normal que nous n’aurons même plus ce genre de discussion. Même s’il reste beaucoup à faire, c’est mon souhait le plus cher.
JL