" Les gens passionnés s'en tirent toujours mieux "
Les recruteurs ont longtemps considéré les CV les plus accrocheurs, présentant des actions concrètes et les réussites passées. Aujourd'hui, ils ont compris que « réalisation n’est pas synonyme de compétence » et que les motivations, la personnalité et les passions font beaucoup.
Docteur en médecine, comportementaliste et cognitiviste, Jacques Fradin vient de publier Manager selon les personnalités, coécrit avec Frédéric Le Moullec, consultant en développement personnel et professionnel. L'idée directrice de l'ouvrage ? Présenter au public comment et en quoi les neurosciences peuvent être exploitées par les instances RH pour d'une part, repérer et gérer la personnalité des collaborateurs et d'autre part, entretenir leur motivation dans la durée. La motivation au travail se dégrade depuis plusieurs années, constate l'auteur. Un problème général au sein des entreprises, grandes ou de petite taille : se sentant fragilisés, les salariés se replient sur la sphère privée et se désinvestissent de la sphère professionnelle. Pour surmonter cette difficulté bien réelle, les auteurs détaillent les outils les plus efficaces, en particulier l'analyse des invariants de la personnalité, grâce auxquels il est possible de gérer les talents et les compétences individuels. Pour améliorer son efficacité, le management doit en effet savoir s'adapter au profil psychologique de chacun.
Motiver un collaborateur par la rémunération ou la reconnaissance, est-ce suffisant ?
Non, la motivation au travail n'est pas liée à la rémunération. Elle l'est davantage à la reconnaissance, mais cette dernière est rendue très dépendante par l'hyperinvestissement. Autrement dit, plus on fait les choses pour le résultat, plus on est dépendant de la reconnaissance et fragilisé par les périodes difficiles. Or, selon une étude de l’Ovat (Observatoire de la vie au travail), 40 % des travailleurs sont actuellement trop centrés sur le travail ou poussés à l'être. Et 10 % d'entre eux se retrouvent dans une position d'hyperinvestissement. Les émotions et le stress jouent donc un rôle-clé en tant que marqueurs de l'état interne de l'individu. Pour maintenir la motivation, un manager n'a pas intérêt à nier cet aspect, il doit tenir compte des tendances émotionnelles de chacun comme facteur de la motivation.
Il existe plusieurs sortes de motivations. Quels sont leurs ressorts au travail ?
Il y a des motivations durables et profondes, qui définissent les axes de plaisir, prédispositions et résistance à l'échec, et des motivations superficielles et instables, dépendantes du résultat et de la reconnaissance, davantage sources de démotivation. La motivation interne, qui ne dépend pas de l'environnement ou du résultat, est liée soit à la génétique, soit à la période d'apprentissage très précoce qui suit la naissance. C'est ce qui sous-tend nos passions et qui explique pourquoi les uns sont prédisposés à l'aventure, à la créativité, alors que d'autres sont orientés sur la sociabilité ou préfèrent l'efficacité, l'autonomie, le travail bien fait. À l'opposé, les personnalités secondaires se développent à partir de l'expérience émotionnelle accumulée au long de la vie.
Entre ces motivations induites et secondaires, lesquelles sont privilégiées au bureau ?
Au fil de la vie, ce qui a pu marcher à une époque peut ne plus fonctionner aujourd'hui. Suivant les époques, notre culture a tantôt valorisé les passions et les émotions, comme à la Renaissance, tantôt la raison, comme au début du XXIe siècle. Aujourd'hui, on arrive à une double conclusion : le monde va trop vite pour que la raison suive et, au contraire, la passion serait la meilleure réponse contre le découragement. Dit autrement : les gens passionnés s'en tirent toujours, parce qu'ils déploient plus d'énergie, plus de résilience devant la difficulté.
Dans ce contexte, comment aider les managers à mieux connaître les ressources cachées de leurs collaborateurs ?
PepsiCo, par exemple, encourage ses salariés à exprimer leurs passions dans leur métier, mais aussi en dehors. Soit en essayant d'adapter des emplois du temps, soit en encourageant les travailleurs à avoir des hobbys. Quel qu'en soit le lieu, les gens qui multiplient leurs passions sont globalement plus équilibrés et ont de meilleures capacités d'adaptation. Je parle volontiers d'économie psychologique : on a une capacité à surmonter les défis en fonction des quantités de plaisir qu'on éprouve globalement. Or, les passions donnent des plaisirs inépuisables. Chaque manager devrait donc identifier les sujets de passion de ses salariés et, autant que possible, faire coïncider l'utile et l'agréable. La deuxième manière de faire consiste à manager selon les personnalités. On ne s'y prend pas de la même manière avec les affectifs qu’avec les compétiteurs.
Vous prônez donc un management sur mesure, au « cas par cas ». Est-ce possible dans de grandes organisations ?
Vous ne pouvez pas tout faire sur mesure. Mais on s'aperçoit qu'un peu souvent suffit. Les managés se sentent incompris quand ils ont le sentiment qu'il n'y a jamais de relation plus personnelle. Or, avoir une écoute plus attentive dans les moments critiques ou les entretiens d'évaluation permet de désamorcer des bombes latentes très facilement. Poser une question ouverte, aussi, suffit à lancer le dialogue. Pour adopter une communication de confiance, un manager doit développer cinq compétences : les capacités à écouter, à gérer le stress de l’autre, à faire évoluer les positions de l’autre, à adapter son niveau de discours, à personnaliser ses messages.
À LIRE
Manager selon les personnalités. Les neurosciences au secours de la motivation, par Jacques Fradin et Frédéric Le Moullec, éd. Eyrolles, 2014, 324 p., 28,30 €.
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