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Les robots vont-ils nous voler nos emplois?

Rédigé par: DOMINIQUE BERNS
Date de publication: 23 mai 2016

Les «machines» pourraient-elles nous voler nos jobs? Il y a trois ans, deux chercheurs de l’Université d’Oxford, Carl Frey et Michael Osborne, affirmaient que 47% des emplois américains étaient susceptibles, d’ici une à deux décennies, d’être occupés par des robots. Jeremy Bowles, du think tank bruxellois Bruegel, obtenait des résultats similaires pour l’Europe: entre 47% en Angleterre et 56% en Italie ou en Pologne. En Belgique, un job sur deux serait potentiellement concerné.

L’entrée dans le «deuxième âge des machines» augure-t-elle d’un chômage technologique massif et, oserait-on dire, de la mise au rebut de nombreux travailleurs devenus inutiles? L’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, ne le pense pas. À l’appui: une étude de trois chercheurs de l’Institut ZEW de Mannheim, Melanie Arntz, Terry Gregory et Ulrich Zierahn.

Selon ceux-ci, au sein des pays de l’OCDE, seuls dix pour cent des emplois, en moyenne, présentent un risque élevé d’être occupés par des robots. Le pourcentage varie selon les pays – entre 6% en Finlande et 12% en Autriche ou en Allemagne. En Belgique, 7% des emplois seraient concernés; et aux Etats-Unis, 9%. Rien à voir donc avec les estimations de Frey, Osborne et Bowles.

C’est qu’Arntz, Gregory et Zierahn ont choisi d’utiliser une autre méthodologie. Pour eux, Frey, Osborne et Bowles commentent une erreur en supposant que ce sont des professions, dans leur ensemble, qui seraient automatisées (et non un certain nombre, plus ou moins important, de tâches particulières). Ainsi, par exemple, Frey et Osborne estiment le potentiel d’automatisation à 98% pour les comptables; et à 92% pour les vendeurs. Mais, répliquent les trois chercheurs allemands, seuls 24% des comptables et 4% des vendeurs peuvent effectuer leur tâche sans interagir avec leurs collègues ou leurs clients.

Polarisation du marché du travail

De nombreux métiers identifiés «à haut risque d’automatisation» – et la liste de Frey et Osborne était large, couvrant cols-bleus et cols blancs, dans les usines ou les départements administratifs, dans la logistique et les services – comprennent souvent une part substantielle de tâches difficiles à automatiser. C’est pourquoi Arntz, Gregory et Zierahn ne retiennent comme «emplois à haut risque d’automatisation» que ceux dont au moins 70% des tâches sont susceptibles d’être automatisées.

Cette étude ne doit cependant pas conduire à minimiser l’impact de l’automatisation et de la numérisation sur le monde du travail.
De nombreux emplois, pour lesquels le risque d’automatisation complète est jugé faible, comportent cependant une proportion élevée (entre 50 et 70%) de tâches automatisables. Et il faut, dans ce cas, s’attendre à une transformation radicale de la nature du travail, à laquelle les travailleurs devront, bon gré, mal gré, s’adapter. En Belgique, cela concernerait plus d’un emploi sur cinq. Idem en France. La proportion serait plus élevée aux Etats-Unis (25%) ou en Allemagne (près de 30%).

Cette nouvelle révolution technologique toucherait en priorité les peu qualifiés. C’était aussi la conclusion de Carl Frey et Michael Osborne. Mais ceux-ci mettaient aussi en évidence l’impact potentiel sur certains métiers (et travailleurs) qualifiés, par exemple dans les professions juridiques (où certaines firmes utilisent déjà des ordinateurs pour effectuer des recherches dans la jurisprudence et les textes légaux), mais aussi médicales (les techniciens de laboratoire, par exemple).

L’OCDE en conclut que le risque de voir apparaître un chômage technologique massif peut être écarté, notamment parce que «de nouveaux métiers sont susceptibles d’apparaître (…) dans le sillage de la baisse des coûts et de la hausse des revenus et du patrimoine». Cela suppose que les gains de l’automatisation soient au moins partiellement partagés… Or, cela ne va pas de soi.

Ainsi, l’Organisation met en exergue le risque d’accroissement des inégalités et de polarisation croissante du marché du travail, où les travailleurs les moins aptes à opérer la transition vers les nouveaux métiers seraient piégés dans des emplois peu qualifiés et mal rémunérés.