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Licenciement pour motif grave : peut-on avoir recours à un détective privé pour apporter la preuve ?

Date de publication: 29 avr. 2013
Est-ce légal d'avoir recours à  un détective privé pour justifier un licenciement pour motif grave?
Amandine Kitambala, Legal expert pour HDP-Partena

Nous savons que la preuve d’un motif grave est libre et qu’elle peut être rapportée par toute voie de droit. Toutefois, certains modes de preuve sont plus efficaces que d’autres. Nous aborderons ici le recours à un détective privé. Nous verrons que le rapport d’un détective est un mode de preuve licite, pour autant qu’il réponde à un certain nombre de conditions et que les règles relatives à la protection de la vie privée aient été respectées.

Quelle est la force probante d’un rapport de détective ?

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 1991, qui réglemente la profession de détective privé, il est vrai que nos cours et tribunaux n’excluent pas le recours à un détective privé et admettent même que le rapport d’un détective privé, établi conformément aux conditions posées par cette loi, constitue un moyen de preuve licite.  Cependant, pour la doctrine et la jurisprudence, il ne s’agit que d’un commencement de preuve ou d’une présomption de fait. Cela signifie concrètement que le rapport d’un détective privé ne constitue pas, à lui seul, une preuve irréfutable. Sa force probante est limitée et ce notamment, du fait que l’on considère que le détective privé agit à la demande et aux frais de l’employeur et en dehors de tout contrôle judiciaire. Aussi, l’objectivité du rapport, et donc sa force probante, dépendra non seulement des faits que l’on souhaite prouver mais également des éléments constitutifs du rapport. De plus, la fiabilité de chaque preuve récoltée sera examinée avec circonspection par le juge et sera fonction notamment de la méthode d’investigation utilisée par le détective privée dans le cadre de sa mission pour établir son rapport, tels que l’observation, la filature, la prise de vue, l’interrogation, etc.

Le juge dispose donc d’un large pouvoir d’appréciation quant à la force probante du rapport. Dans tous les cas, le rapport du détective privé devra être complété par d’autres moyens de preuve et pourra, dans certains cas par exemple, être accompagné d’un procès-verbal établi par un huissier de justice.

Quelles sont les conditions posées par la loi du 19 juillet 1991 ?

Pour qu’il soit valable, le rapport de détective doit répondre à certaines conditions.

  1. Un lieu public : Il faut notamment que les constatations qui font l’objet du rapport aient été faites à partir de lieux accessibles au public. Ce qui est déterminant dans l’appréciation de cette condition est non pas le lieu où se trouve le détective au moment de la constatation mais bien le lieu où se trouvent les personnes qui font l’objet de ces constatations. Mais cela ne signifie pas pour autant que tout contrôle effectué dans un lieu public est autorisé.
  1. Pas d’informations « sensibles ». Le détective ne peut en outre recueillir des informations relatives aux convictions politiques, religieuses, philosophiques ou syndicales, ni celles relatives à l’orientation sexuelle, aux origines sociales ou ethniques ou à l’état de santé du travailleur. Concernant les constatations relatives à l’état de santé, la loi ne donne pas de définition mais il faut entendre cette notion au sens large du terme, à savoir que toute information relative à l’état physique ou psychique, passée, présente ou future de la personne est interdite. Il est donc interdit au détective privé de vérifier si quelqu’un est toxicomane, s’il suit un traitement psychiatrique ou s’il est alcoolique. En effet, l’alcoolisme est considéré comme une maladie et y faire référence reviendrait à transgresser cette interdiction.
  1. Etablissement d’une convention : Enfin, du point de vue des formalités, une convention écrite doit obligatoirement avoir été conclue entre l’employeur et le détective privé préalablement à la mission. Cette convention doit notamment contenir une description détaillée de la mission confiée au détective et une indication quant à sa durée. Le numéro de l’autorisation du détective privé doit en outre figurer dans la convention car tout détective privé doit avoir été agréé par le SPF Intérieur et être détenteur d’une carte d’identification.

Si ces conditions ne sont pas réunies, le rapport ainsi que les preuves obtenues pourraient être considérées comme irrégulières et être écartées des débats par le juge, sous réserve bien entendu de la jurisprudence dite « Antigone » qui laisse la possibilité au juge de décider, même en cas de preuves obtenues illégalement, d’accepter une preuve pour autant que l’irrégularité commise ne compromette pas le droit à un procès équitable, n’entache pas la fiabilité de la preuve et ne méconnaisse pas une formalité prescrite à peine de nullité.

Protection de la vie privée

Indépendamment des conditions posées par la loi du 19 juillet 1991, le recours aux services d’un détective privé soulève la question du droit à la protection de la vie privée.

Rappelons qu’en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence soit prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sureté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » et que cette disposition trouve également à s’appliquer aux personnes privées.

Par conséquent, une ingérence dans la vie privée n’est autorisée que si sont respectés les principes de légalité, finalité et proportionnalité.

C’est au juge qu’il reviendra d’apprécier, en cas de litige, si les principes précités ont bien été respectés. Il vérifiera notamment que le but poursuivi par l’employeur dans le cas concret (ex : protection des ses intérêts économiques ou économiques de l’entreprise) est un but légitime par rapport au droit au respect de la vie privée du travailleur et que les moyens mis en œuvre pour atteindre ce but, en l’occurrence le recours aux services d’un détective privé, est proportionnel au but recherché. Le juge effectuera pour ce faire une balance des intérêts, entre d’une part, le droit au respect de la vie privée du travailleur et d’autre part, les intérêts de l’employeur.

Conclusion

Nous pouvons conclure que le recours à un détective privé peut s’avérer utile dans l’établissement des faits constitutifs d’un motif grave, mais n’est pas en soi suffisant ; compte tenu notamment de sa force probante limitée et de l’appréciation effectuée par les cours et tribunaux sur l’ingérence dans la vie privée du travailleur eu égard aux principes de légalité, de finalité et de proportionnalité. Dans tous les cas, il convient d’être prudent et de tenir compte de ces éléments avant de recourir à ce moyen de preuve.

HDP-Partena