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Oser le « corporate activism »

Rédigé par: CAROLINE DUNSKI
Date de publication: 13 déc. 2022

Les entreprises qui recrutent éprouvent des difficultés croissantes à convaincre les jeunes en quête de sens. Elles doivent pouvoir démontrer une véritable volonté d’intégrer une démarche de transition et prouver qu’il ne s’agit pas de « green », « young » ou « social washing ».

Chloé Mikolajczak, activiste pour la justice sociale et climatique, assure la coordination de la campagne européenne Fossil Free Politics. « Je pense qu’il est important de rester très alerte sur la question du greenwashing que pratiquent malheureusement, encore aujourd’hui, une majorité d’entreprises qui ne sont pas réellement dans une démarche de transition », prône-t-elle. « De la part de celles qui sont effectivement dans une telle démarche, nous attendons une collaboration avec les activistes et avec les autorités publiques. Nous avons besoin de règles claires de la part du législateur, avec des critères pour établir ce qui est du greenwashing et ce qui ne l’est pas. Pour moi, ce n’est pas qu’une question d’émission de gaz à effet de serre, il y a aussi tout l’aspect social. Par exemple, une entreprise qui réduit ses émissions de gaz à effet de serre mais qui exploite ses travailleurs dans les pays du Sud ne sera pas une entreprise vertueuse. »

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Chloé Mikolajczak, coordinatrice de la campagne européenne Fossil Free Politics

Actuellement, la campagne que coordonne Chloé Mikolajczak concerne le lobbying et tente d’obtenir que les entreprises qui continuent d’utiliser des énergies fossiles n’aient plus accès aux décideurs politiques, alors que « dans la configuration actuelle, ils se voient presque tous les jours ». Afin de convaincre les entreprises d’agir vertueusement, des campagnes visent aussi précisément certaines entreprises sur différentes thématiques : des campagnes sur la déforestation ciblent des supermarchés ou des entreprises importatrices de soja ; si les campagnes sur l’exploitation des fonds marins qui visent certains pays ne sont pas efficaces, les activistes pointeront les entreprises qui y envoient des bateaux… En octobre dernier, la coalition Code Rouge a mené une action de désobéissance civile au cours de laquelle plus de 1.200 participants ont bloqué les usines Total de Belgique, une entreprise qui continue d’investir dans les énergies fossiles.

Si certaines entreprises sont plus ouvertes à la discussion et aux recommandations que peuvent faire les mouvements de lutte pour l’élaboration de politiques climatiques et énergétiques plus justes, la jeune activiste regrette cependant qu’elles ne soient pas nombreuses.

L'ASBL Corporate ReGeneration, fondée par Vincent Truyens et Olivier Bouche en 2020, a pour objectif de faciliter la rencontre entre des jeunes et des dirigeants d’entreprises, lors de congrès, séminaires, tables rondes et autres événements auxquels ils n’ont généralement pas accès. « Même s’ils y ont accès, encore faut-il qu’ils aient la possibilité de s’exprimer et d’échanger avec les intervenants et les décideurs », explique Vincent Truyens. « En 18 mois, les jeunes ont pu croiser entre 350 et 400 dirigeants d’entreprises. Généralement, ce sont des entrepreneurs et entrepreneuses progressistes, pour lesquel.le.s on est devenu visible et qui se montrent intéressés par la participation de la jeune génération impliquée dans des causes sociétales. Nous vérifions qu’il y a bien un réel espace d’échange et de dialogue possible, pour que les jeunes ne soient pas utilisés pour cocher une case et remplir un quota. On doit veiller à ce que ce ne soit pas du young washing, comme il y a eu la nouvelle vague de green washing il y a sept ou huit ans, ou celle du social ou du gender washing. Le côté positif est que ça a grimpé dans l’agenda de beaucoup de parties prenantes, mais le revers de la médaille, c’est que tout le monde doit y aller de sa propre initiative, même en surface. »

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Vincent Truyens, fondateur de l'ASBL Corporate ReGeneration

Gagner en pouvoir de persuasion

Les jeunes qui peuvent confronter leurs points de vue dans un tel cadre connaissent ainsi un processus d’empowerment en permettant à leur vision des choses de progresser. Ils apprennent aussi à mieux choisir leurs arguments par rapport aux interlocuteurs et, de ce fait, peuvent être mieux pris au sérieux. Du côté des décideurs et décideuses, Vincent Truyens sent une réelle envie d’intégrer leur point de vue qu’ils estiment enrichissant et nécessaire, au-delà du devoir moral des entreprises de tenir compte de l’impact que leurs décisions auront sur les générations futures.

« C’est cependant arrivé que ce soit clivant », constate Vincent Truyens. « Les jeunes ont souvent une façon franche, transparente et directe d’exprimer leur point de vue et de distribuer un peu leurs bonnes et mauvaises notes. Ce n’est pas toujours bien vécu par les générations plus anciennes. Le spectre des réactions va du  " De quoi ils se mêlent, ces jeunes pourris gâtés qui n’y connaissent rien ? " à la tristesse. J’ai vu des CEO masculins pleurer, touchés par ce qui se prépare pour les jeunes. »

Un deuxième mode privilégié de mises en contact des jeunes et des entreprises, développé par Corporate ReGeneration, est l’organisation de « réunions de parties prenantes », appelées « stakeholders meetings ». Danone Belux, par exemple, a proposé que des jeunes challengent son plan d’actions 2022-2025 en termes de développement durable. Pour enrichir l’expérience et les feedbacks, Corporate ReGeneration a proposé d’élargir le panel aux parties prenantes externes de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeurs. « Finalement, on s’est retrouvé à coorganiser cela avec Danone, mais aussi avec deux ou trois jeunes qui ont aidé à identifier les autres parties prenantes et ont animé les rencontres. Du fait que les jeunes n’ont pas d’agenda particulier, tout le monde a baissé la garde et ça a fluidifié les échanges, devenus plus authentiques et constructifs. »

« Un troisième mode d’action est en train de décoller », souligne le fondateur de l’association. « Ce sont des "comités de régénération", c’est-à-dire des organes de gouvernance auxquels participent deux ou trois jeunes bénévoles défrayés de notre association. Ils viennent avec des idées fraîches, mais ne sont pas consultants. Autour de la table se trouvent aussi des jeunes de l’entreprise et des membres du CA ou des actionnaires. Dans ces comités où des décisions sont prises et qui forment des "quasi-boards", on discute tous les sujets de durabilité, de régénération… L’organe va être garant de la mise en place d’un plan de développement durable de l’entreprise. On va challenger, on va inspirer les participants, ce qui permet d’accélérer cette transition et fournit une caisse de résonance à la responsabilité sociétale de l’entreprise. » 

Un tel Comité régénératif a été mis en place à la Brasserie Dupont, qui en est à sa sixième génération. Les deux dirigeants, générations 5 et 6, ont cherché à impliquer davantage les autres membres de la famille sur ces questions de durabilité. Le comité est composé de neuf jeunes de la famille, deux jeunes de Corporate ReGeneration et les deux fondateurs de l’association, en tant qu’experts pour enrichir les débats, les deux membres du CA et, ponctuellement, des intervenants externes.

Au total, Corporate ReGeneration a collaboré avec une vingtaine d’entreprises. Pourraient-elles, à travers leurs produits et services, mais aussi en marge de ceux-ci, développer une forme de « Corporate activism » et avoir un impact potentiel sur un secteur d’activité, une thématique, un projet ? A terme, elles influenceraient ainsi la transformation de la société au sens large.