Quand la religion s’invite au boulot

Selon un sondage réalisé par Références, 79 % des personnes interrogées estiment que la religion n’a rien à faire sur le lieu de travail. Pourtant, dans la pratique, il arrive que des problèmes se posent : demandes de congés pour motifs religieux, port du voile, nourriture haram à la cantine… Peut-on vivre sa religion au boulot ? Même si les entreprises se montrent en général pragmatiques, foi et profession font difficilement bon ménage.

Que faire lorsque l’on a congé chaque 25 décembre mais que l’on rêve plutôt de se retrouver en famille le jour du Yom Kippour ou de l’Aïd el Kebir ? Que faire lorsqu’à la cafétéria, le jambon beurre ou le rôti de porc semblent être les seuls plats à la carte ? Que faire lorsque l’on voudrait prier cinq fois par jour, mais que l’on ne dispose que d’une unique pause quotidienne ?

Pas toujours simple de concilier religion et profession ! Dans un monde de l’entreprise toujours plus sécularisé, mais encore fortement calqué sur les us et coutumes catholiques, foi et boulot font parfois difficilement bon ménage. « D’un côté, chacun a le droit de vivre selon ses convictions, y compris sur le lieu de travail », souligne Édouard Delruelle, directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. « D’un autre côté, tout employeur a aussi le droit d’imposer un règlement. Du coup, il arrive que des problèmes surgissent. »

Des problèmes réels, mais généralement ponctuels. « Il ne faut pas dramatiser ! Tout dépendra du secteur d’activité et de la région : la situation sera forcément différente à Bruxelles et à Libramont. »

Pragmatisme

Selon un sondage réalisé sur Références.be , les difficultés d’ordre convictionnel au sein de l’entreprise seraient effectivement plutôt l’exception que la règle. À la question « L’expression de signes religieux dans votre société est-elle devenue source de conflits ? », seuls 10 % des personnes interrogées ont répondu par l’affirmative. Pour 75 % des sondés, la religion sur le lieu de travail n’est pas plus problématique aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Mais 79 % des répondants estiment tout de même qu’il ne doit pas y avoir de place au boulot pour les croyances.

« On ne peut pas affirmer que les soucis n’existent pas, mais ceux-ci sont en réalité beaucoup moins idéologisés que dans le débat politicomédiatique », indique Andrea Rea, professeur à l’Université libre de Bruxelles et coauteur d’une étude sur la diversité culturelle sur le lieu de travail. Cette enquête, publiée en 2010 en collaboration avec la VUB, démontre que les situations conflictuelles rencontrées en entreprises sont d’abord réglées de façon pragmatique.

À commencer par les difficultés liées aux demandes de congés pour motifs religieux ou « de longue durée » afin de pouvoir rentrer au pays auprès de sa famille, ce qui peut compliquer la tâche de l’employeur au moment de préparer les horaires de vacances. « Mais on constate que la plupart des sociétés acceptent si cela est faisable du point de vue organisationnel », ajoute Andrea Rea.

Viennent ensuite les « problèmes d’adaptation vestimentaire ». « Ne tournons pas autour du pot : il s’agit majoritairement du port du voile », expose-t-il. Un patron peut-il exiger que ses employées ne portent pas le foulard ? La question se révèle d’autant plus épineuse que le cadre juridique reste encore extrêmement flou (lire ci-après). Les exemples de plaintes déposées à ce sujet ne manquent pas. Dernier en date : le dossier opposant la chaîne de magasins Hema à une intérimaire qui avait refusé d’ôter son voile, à la suite de plusieurs plaintes de clients.

Égalité des sexes

La plupart des entreprises semblent avoir adopté cette « règle » officieuse : oui au foulard si l’on travaille en back-office, non si l’on œuvre en front desk. Mais il existe aussi des situations où des compromis ont pu être trouvés. Comme chez Ikea, où la direction permet à ses employées musulmanes de porter un « voile d’entreprise » ressemblant à des bandanas aux couleurs de la firme.  

« Ce qui importe avant tout pour l’employeur, c’est que le boulot soit fait », remarque Jean-Luc Vannieuwenhuyse, expert juridique chez SD Worx. « Dans la pratique, on constate finalement que les problèmes réels trouvent toujours une solution. Tout est une question de dialogue. »

Pragmatisme, donc. Y compris lorsqu’il s’agit d’aménager un local de prière sur le lieu de travail, de varier les plats servis à la cantine, d’accéder aux demandes d’aménagement des tâches en période de jeûne, etc. Les patrons fonctionnent généralement sur le mode : « Pourquoi pas, si cela permet au personnel d’être plus épanoui et donc plus rentable ? »

« Là où il n’y a pas d’accommodement raisonnable possible, c’est lorsqu’il s’agit du refus du rapport hiérarchique lorsque le chef est une femme », juge Andrea Rea. « Ces situations se présentent parfois, mais elles sont inacceptables. L’égalité des sexes doit être assurée. »

Pragmatisme, enfin, à condition de ne pas favoriser une religion au détriment d’une autre. « Chaque employeur doit respecter les convictions de ses travailleurs, mais il doit aussi veiller à maintenir l’équité », expose Marie-Lise Pottier, Legal Advisor chez Securex.

En définitive, vivre sa religion sur son lieu de travail reste possible et… compliqué. « C’est un choix et, comme tous les choix, il peut parfois être difficile à assumer », conclut Édouard Delruelle. « Même si les entreprises trouvent assez spontanément des arrangements raisonnables. Le plus dur, finalement, c’est d’entrer tout simplement dans l’entreprise. Le vrai problème reste plus que jamais la discrimination à l’embauche… »

4 conseils pour désamorcer les conflits

Allah a-t-il sa place dans l’entreprise ? Tel est le titre d’un ouvrage publié en 2010 par deux anthropologues, Dounia et Lylia Bouzar (éd. Albin Michel). Une vaste enquête menée auprès de dizaines de sociétés, qui en arrive à cette conclusion : face à la religion, les réactions des patrons oscillent généralement entre laxisme (ne rien imposer de peur de paraître raciste) et inflexibilité (tout refuser de peur de paraître trop tolérant).

Quelle est finalement la bonne attitude à adopter pour un chef d’entreprise ? Édouard Delruelle, directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances, dénombre quatre conseils :

1. Respecter les règles de non-discrimination.

2. Mettre ses employés sur un pied d’égalité. « La diversité, c’est traiter de manière égale des gens différents. »

3. Anticiper. « Car rien de pire que de devoir régler une situation dans l’urgence. »

4. Trouver des solutions neutres, ne pas avoir une vision communautariste. « Par exemple, créer un local de silence plutôt qu’un local de prières. » MGs

Qu’en dit la loi ?

Pas grand-chose ! En matière de religion sur le lieu de travail (congés religieux, port du voile, etc.), la législation reste floue. Tout au plus la législation oblige-t-elle les patrons à donner à leurs employés le temps nécessaire pour remplir les devoirs de leur culte. Il s’agit également de respecter la loi antidiscrimination de 2007, qui interdit (entre autres) toute forme de discrimination sur base de convictions religieuses ou philosophiques. Un recruteur, par exemple, ne peut demander à un candidat son obédience religieuse, à moins que ce critère ne soit explicitement en rapport avec la fonction pour laquelle il postule.

Pour plus d’infos ou pour signaler une discrimination : Tél. 0800 12 800 ou www.diversite.be

Sondage réalisé en février 2012 auprès de 2 481 répondants.

 

Retour au dossier religion au travail

Retour à la liste