Quand les e-mails mènent au burnout

À l'heure actuelle, presque tous les salariés sont confrontés quotidiennement à  l'usage des e-mails et des nouvelles technologies. Un outil pratique, mais néanmoins stressant, qui peut mener à  l'épuisement. Régine Sponar nous explique pourquoi prendre du recul vis-à -vis des TIC.
Par Régine Sponar, psychologue clinicienne

 

L’origine du burnout est multifactorielle. Le burnout prend sa source dans l’environnement de travail décrit par l’aspect organisationnel de l’entreprise et se développe chez certains employés ou dans certaines professions plus particulièrement. L’utilisation intensive des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) y participe. Les TIC comprennent l’utilisation des devices comme les pc, smartphones et tablettes, les e-mails et agenda IT, les logiciels timesheet, les softwares avec ou sans système de workflow,…

Tout comme le moyen de transport utilisé par l’employé relie l’habitation privée au travail, les TIC relient la vie privée à  la vie professionnelle au moyen de nouveaux devices tels les portables ou les smartphones. Ces deux indicateurs peuvent, lorsqu’ils sont évalués en temps d’utilisation et en perception de l’utilisateur, se révéler soit une véritable source de stress soit une source de bien être.

Comment un flux continu d’informations associé au sentiment de ne jamais pouvoir terminer ses tâches est une des  facettes possibles de ce qui peut causer un burnout ? L’étude la plus complète sur le sujet est celle du Phd M. Camargo, qui en a fait un modèle scientifique sur le thème : « Le rôle de l’e-mail  dans le burnout » conçu à  partir d’entretiens effectués en entreprises high-tech de la Silicon Valley. La validation de ce paradigme par le MBA M. Camargo autorise l’avantage réservé à  ce critère de pouvoir s’appliquer ensuite aux grandes entreprises en Belgique. Il mérite dès lors d’être travaillé très près du sujet de recherche original. Le modèle de l’auteur comporte un continuum en phases pour arriver de l’utilisation des e-mails au burnout. Il met en cause les facteurs organisationnels de l’entreprise mais aussi les caractéristiques individuelles de l’employé.

1. Les facteurs d’organisation du travail

Lorsque l’employé preste son premier jour dans l’entreprise, il perçoit les mails comme le résultat de son expérience avec sa propre boîte mails. Pour ensuite s’imprégner de la culture d’entreprise quant à  la procédure de la gestion des mails : Comment le mail est-il perçu dans l’entreprise ? Il l’utilisera alors à  des fins de communication et de productivité pour arriver à  ses objectifs de travail.

L’ambiguïté s’annonce. L’auteur illustre son propos par l’exemple de la tâche prosaïque d’envoi d’un mail à  un collègue dont on ne veut interrompre le travail ou dont on sait qu’il est absent de son bureau. Cette simple tâche devient un problème si plusieurs employés font de même au même moment. À ce stade, l’employé destinataire s’interroge : Dois-je interrompre mon travail pour répondre à  son mail ? Il se pose la même question avec les autres employés. Chacune des tâches de réponse aux mails  devenant une rupture avec le travail de départ et une accumulation de la perte d’attention. On tente de gérer la priorité des tâches. Quelle est ma tâche prioritaire ? Dois-je jongler entre toutes ses tâches ? Sans compter que certaines réponses demandent l’ouverture d’un logiciel de métier ou de gestion avec login et mot de passe.

Les interprétations sur l’usage du mail par chacun des employés divergent. Ce qui est un avantage pour l’un est  un souci pour l’autre1.

L’employé se laisse alors entraîner dans un tourbillon (« whirlpool »), de travail frénétique dans un environnement de travail perçu comme extrêmement rapide et mouvant. En entretiens, les employés TIC vivants ce tourbillon s'expriment par images très parlantes : un employé polyglotte épuisé en fin de journée parlera de l'impression d'être essoré comme dans un panier à  salade, un autre parlera d'avoir l'impression d'être muté en un hamster dans une roue qui ne peut plus s'arrêter. La gestion des mails devient une nécessité pour garder une trace du suivi des activités quotidiennes, perçues comme trop rapides. Le partage de l’information se véhicule par les listes de destinataires, mais les employés ne savent plus trop qui fait quoi, quand et où. Mon nom est-il sur la liste de distribution ? Pourquoi pas ? Le mail devient  alors un facteur d’ambiguïté  plutôt que de productivité. Toute la procédure de communication de l’entreprise devient centrée sur l’e-mail : « e-mail centric enterprise ».

Les employés cherchent à  se documenter sur ce que chacun « fait » comme preuve du statut et des responsabilités attribuées mais aussi pour se protéger d’erreurs. Et ajoute l’auteur, comme tous les employés n’ont pas des compétences en communication écrite, des mails se génèrent pour demander des explications sur le contenu d’un mail. Une rupture de communication peut s’installer dans les relations entre les utilisateurs de mails. Les employés qui utilisent l’anglais comme seconde langue peuvent ajouter une strate à  l’incompréhension du destinataire.

Arturio Ramirez de l’Université du Minnesota le confirme en écrivant à  propos de l’e-mail : Cette forme de communication  a la plus grande marge d’erreurs et peut conduire à  une escalade dans la non-communication, des conflits interpersonnels et des situations stressantes.

Cette arrivée incessante de mails donne l’impression aux employés qu’ils ont besoin d’être  constamment à  la recherche de cette information, qu’une crise pourrait arriver par le canal du mail et qu’il faudrait pouvoir la résoudre dans l’immédiateté, et donc être disponible. Ce flux de mails annonce de surcroît que le travail n’est jamais terminé2. Lorsque j’ai l’impression de ne plus pouvoir réaliser mes objectifs, cela participe au burnout.

2. Les facteurs individuels de l’employé

L’employé s’inquiète lorsqu’il quitte le bureau avec des messages « potentiellement importants » non lus. L’anxiété de ne pas être connecté aux informations importantes devient permanente et l’employé va chercher à  se rendre disponible à  son entreprise 24h/7J, pour être certain de travailler en tenant compte de toutes les informations reçues par ce canal de distribution.

Le spectacle de certains de nos proches et leur smartphone, appendice de la main en journée se muant en doudou placé près de l’oreiller la nuit, défiant tout principe de précaution, en est une illustration. De nombreux employés checkent leurs mails professionnels de la maison avant d’aller dormir ou pendant les weekends, ce qui affecte leurs temps de récupération, qui n’en sont plus.

Ce travail omniprésent devient source de stress et constitue une solide addition du travail au bureau. Avec le facteur « temps passé dans l’entreprise » et d’autres facteurs démographiques en cause, certains employés commencent à  ressentir les effets de ce stress prolongé sur leur santé mentale et physique. L’employé de la « compagnie e-centric » s’engage à  ce dernier stade vers le burnout, dont l’épuisement est l’une des trois composantes.

On peut émettre l’hypothèse que l’engouement pour les sports et les thérapies bénéfiques de détente, de méditation et de bien être, ou pour des vacances écologiques ou sauvages dans des lieux isolés, trouve son explication dans le fait que l’employé cherche à  se reconnecter à  lui-même et à  ses propres aspirations, à  ralentir le temps, à  sortir de quelques ruminations ou début d’insomnies qui peuvent être liées entre autres à  cette connectivité externe incessante, ambiguà« et génératrice pour certains de conflits interpersonnels.

Comment sortir de cette connectivité incessante ? Est-ce suffisant de rompre la connectivité avec ses mails uniquement le weekend ? Que faire des centaines d’e-mails à  gérer au retour de vacances ? On a déjà  compris par ce modèle scientifique que la solution ne passe pas uniquement par le report à  plus tard du temps de l’ouverture de ses mails: Salut les mails, à  lundi ou à  demain matin !  Les recommandations feront l’objet d’un prochain article.

Ce thème aurait aussi pu être expliqué par le biais de théories philosophiques sur l’attention. Avec la captatio benevolentiae de M.O. Padis, où la lecture d’un livre peut s’apparenter à  la connaissance du monde filtré par « le » choix de ce livre et à  la légère émotion procurée par la douce question : va-t-on se laisser séduire, apprivoiser, emporter par l’écriture de l’auteur ? Par opposition au déversement massif d’informations incessantes  réceptionnées via les nouvelles technologies de l’information et de la communication sur nos devices. L’attention, écrit-il, est devenue un marché pharmacologique. Allusion à  peine voilée au médicament qui freine le joyeux élan vital des gamins turbulents. B. Stiegler parle lui  « de situations de brutalisation de l’attention et du fait contemporain et calamiteux de la non-réintériorisation de l’extériorisation qui induit une mélancolie généralisée ».

Ce sujet aurait aussi pu avec F. Benhamou être analysé par le biais de « l’économie de l’attention » lorsqu’elle explique la théorie de H. Simon,  prix Nobel d’économie : « l’abondance d’informations entraîne la pauvreté de l’attention et le besoin de répartir cette attention parmi la surabondance des sources d’informations ». 

1: modèle J(ob) D-R de Bakker, A.B., & Demerouti, E. (2007).
2: On peut introduire ici Salanova et Schauffeli qui complètent le test MaslahGI-GS en y ajoutant la composante de « réalisation  de ses objectifs » comme étant le quatrième facteur de burnout lorsque cette composante n’est plus intégrée dans la dynamique individuelle.

Elle est également auteur du Preventing Burnout Test ©, Job Stress Early Warning System, outil de prise en charge de la prévention du burnout qui comporte 4 consultations individuelles sur la prévention du burnout. Il est utilisé par des spécialistes du burn-out et de l’entreprise. Il évalue parmi d’autres indicateurs, l’utilisation des nouvelles technologies par des mesures précises en temps professionnels et en temps privés de l’utilisation des outils TIC, ainsi que les perceptions de l’employé associées à  l’utilisation de ces outils. Cette évaluation de l’impact des TIC va de pair avec un réajustement de son « job description». En équipe, elle donne des conférences pour réduire les risques psycho-sociaux de burnout sur le lieu du travail. Plus d'informations : 02.375.20.86 ou preventingburnout@skynet.be

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