20 ans pour démanteler les centrales en fin de vie
La sortie du nucléaire, ou même sa simple réduction, n'engendrerait pas les pertes d'emplois annoncées. De nombreux travaux démontrent que la transition énergétique est bien plus créatrice d'emploi que le modèle actuel. Où seront les jobs pour les pros du nucléaire ?
Quarante ans ! Le Japon a estimé qu’il lui faudrait près d’un demi-siècle pour démanteler la centrale de Fukushima. En Belgique, alors que la coalition « papillon » avait annoncé à l'automne 2012 la sortie progressive du nucléaire entre 2015 et 2025, le MR propose à présent de prolonger le nucléaire de 10 ans dans les négociations en vue de former un gouvernement fédéral.
Cette volonté pointe un pan méconnu du nucléaire : l’extrême complexité des chantiers de déconstruction des centrales en fin de vie. Un processus laborieux et très coûteux, qui implique de découper en morceaux les cuves et autres générateurs de vapeur contaminés en concevant des robots pour intervenir dans les zones les plus radioactives. Deux courants de pensée s'affrontent à ce sujet : les progressivistes estiment pouvoir le faire sur une vingtaine d'années, les « immédiatistes » réduisent ce délai à trois ou quatre ans. Dans les deux cas, et face aux départs à la retraite, l'industrie nucléaire a besoin d'ingénieurs.
Avant le 11 mars 2011, on promettait la « renaissance » du nucléaire, sous l'effet de la chasse au CO2 pour sauver le climat et de l'envolée des prix des carburants fossiles. Si un effondrement total de l’atome est exclu, le scénario le plus fréquemment avancé désormais est celui d'une croissance modeste. Mais une hypothèse pessimiste de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) table sur un recul de 15 % du parc installé dans le monde, l'annulation de la moitié des projets et aucun nouveau chantier dans les pays développés...
Une certitude : l'Asie, où sont situés les trois quarts des 62 réacteurs en construction (pour 441 réacteurs actifs avant Fukushima), tirera le secteur. La Chine et l'Inde, géants voraces en charbon, peuvent difficilement ne pas diversifier leur électricité. Certains pays européens gardant également le cap (Royaume-Uni, Finlande, Suède, Pologne...). Autre dilemme : sans nucléaire, comment réussir la transition énergétique sans revenir au thermique ? Même si leur coût décline, éolien et solaire subventionnés souffrent de l'austérité. Un autre se voit désormais promettre un âge d'or : le gaz.
« Depuis trente ans, nos meilleurs ingénieurs sont d'abord devenus des gestionnaires, puis ont finalement déserté l'industrie pour la finance », explique Éric Croisy, président de l’AIECAM, l’Association royale des ingénieurs diplômés de l’Ecam. « Les questions énergétiques sont d’une grande complexité. C’est sérieux. Nous sommes dans une période de transition, on aurait tort d’arrêter la recherche dans ce domaine. Il faut réhabiliter l’émerveillement scientifique. »
Compétences et transition
Les compétences, le know-how des ingénieurs du nucléaire sont-ils compatibles avec les scénarios de transition énergétique ? « Les ingénieurs du nucléaire possèdent un savoir-faire qu'ils sont capables d'exploiter dans de nombreuses filières », explique Michel Giot, professeur émérite de la Louvain School of Engineering.
Traditionnellement, l’industrie nucléaire emploie deux types d’ingénieurs : des ingénieurs spécialisés en mécanique, en électricité ou en chimie, qui ont été « nucléarisés ». « Ces ingénieurs-là n’ont aucune difficulté à changer d’employeur et à passer à un secteur non nucléaire, par exemple l’industrie des procédés. » D’autre part, des ingénieurs qui ont des responsabilités dans la conduite des installations et doivent avoir une formation nucléaire approfondie. Ils sont nettement moins nombreux, mais il est impossible d’assurer le fonctionnement des centrales sans eux. « Si de tels ingénieurs venaient à perdre leur emploi en Belgique, ils pourraient vraisemblablement trouver de nouveaux jobs à l’étranger », explique le professeur.