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Slasheur, plusieurs jobs à son arc

Date de publication: 13 sept. 2013
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Et vous, que faites-vous dans la vie ? Pour une flopée de jeunes travailleurs, répondre à cette question ne se fait plus sans slash. Si le fait d’avoir plusieurs jobs à son arc n’est pas une nouveauté, les « slasheurs » ont érigé l’ubiquité professionnelle en plus-value.

À 30 ans, le Liégeois Yves Reynaert possède sa propre agence de création graphique. Avec l’un de ses amis, il est aussi le cofondateur du magazine « Talk ». Mais trois fois par semaine, Yves Reynaert quitte ses bureaux pour donner des cours de West Coast Swing, une danse de couple à laquelle il dédie des events – son côté commercial. Graphiste/commercial/éditeur/professeur de danse : il se reconnaît dans cette génération de slasheurs pour qui le CDI n’est plus un Graal à atteindre. Bien au contraire. Refusant le combo « monotonie + piètres conditions salariales », le slasheur est accro à l’indépendance. Dès la fin de mes études, je savais que je voulais être indépendant. Lors de mes stages, j’avais vu que dans le milieu graphique, en étant salarié, tu pouvais sortir un concept valant 50 000 € tout en touchant 1000 € par mois. Quant à la danse, si elle est à l’origine une activité « non alimentaire », elle occupe aujourd’hui de plus en plus de place dans le quotidien d’Yves Reynaert... jusqu’à se professionnaliser. Aujourd’hui, je donne des cours. Mais des cours à l’organisation de soirées – et donc à l’événementiel, à la communication –, il n’y a qu’un pas. Pour moi, toutes mes activités sont liées, explique-t-il.

Slash contre clash

Heureux de son sort tout en sachant qu’il faudra sans doute un jour se poser davantage, Yves Reynaert est l’exemple type du polytravailleur : trentenaire, hyperactif, passionné et évoluant dans le milieu « médiatico-artistico-culturel ». Car la fluidité des pratiques est caractéristique de ces secteurs, qui ont été entièrement renouvelés par l’apparition du web et des nouvelles technologies. Ceux qu’on identifie comme slasheurs gravitent souvent dans des secteurs qui, peu ou prou, ont l’habitude de fonctionner sur le mode du projet, mais aussi sur base de l’implication personnelle du travailleur, ajoute Marc Zune, sociologue du travail à l’UCL. Un milieu qui valorise aussi la pluridisciplinarité, gage d’une certaine hauteur de vue et d’un réseau élargi. Ainsi, Nathalie, 28 ans, comédienne belge installée à Paris, ajoute aujourd’hui plusieurs slash à sa carte de visite : DJette/mannequin/chroniqueuse musicale... Si les activités sont différentes, le petit monde qu’elle fréquente est en réalité le même. Et les projets découlent les uns des autres.

Le concept de « slasheur », plus qu’une nouvelle réalité, témoigne surtout d’une autre perception du zapping professionnel. C’est une manière de valoriser des pratiques déjà existantes, mais qu’on présente comme désirables, émergentes, d’avant-garde. Mais que les personnes aient des activités différentes et les valorisent sous l’angle de la passion, c’est assez classique ! Nous sommes tous des slasheurs d’une certaine manière, tempère Marc Zune. Ce qui a changé ? Là où, il y a une dizaine d’années, celui qui multipliait les casquettes était soupçonné de se disperser, le monde du travail – toujours plus labile – lui tire aujourd’hui son chapeau. Car le slasheur est un professionnel capable de s’organiser, d’initier des projets et se réinventer constamment. C’est aussi quelqu’un qui a su transformer les incertitudes financières et identitaires en moteur et qui, surtout, réinjecte du sens et du cœur à l’ouvrage. Bref, un travailleur qui a contourné le clash par le slash.

Texte : Julie Luong

Slasheur

Popularisé par l’ouvrage de Marci Alboher, « One Person/Multiple Careers » (1), le terme anglais slasher a permis de mettre au jour le mode de vie des jeunes professionnels de la génération Y qui cumulent différentes activités. Référence au signe typographique de la barre oblique – le slash –, le terme évoque aussi l’univers de l’écriture web, la langue maternelle du slasheur.

Indépendant complémentaire

Le boom du nombre d’indépendants complémentaires donne une indication sur le désir de slash des travailleurs. En Belgique, on comptait en 2012 quelque 226 153 indépendants complémentaires. Lors des quatre dernières années, plus de 20 000 personnes sont devenues indépendants complémentaires. La hausse est particulièrement significative chez les titulaires femmes (source : Rapport annuel 2012 Inasti).

Flexi-jobs

Cet été, les libéraux flamands de l'Open VLD ont mis sur la table une proposition relative aux « flexi-jobs » : une formule qui permettrait de simplifier la prestation d’heures supplémentaires ou le travail occasionnel. L'employeur et le travailleur concluraient un contrat ne précisant pas les heures de travail à prester : le travailleur accomplirait ensuite les prestations à la demande. Ce système permettrait au travailleur de gagner jusqu’à 500 € par mois supplémentaires, exemptés d’impôts. L’employeur paierait quant à lui une contribution de 25 % sur cette somme sans autres obligations fiscales et sociales. Ouvert aux salariés à temps partiel et aux pensionnés, le système ne serait pas accessible aux chômeurs, contrairement aux « minijobs » allemands dont il s’inspire.

À LIRE

(1) One Person/Multiple Career, par Marci Alboher, éd. Business Plus Imports, 2007, 256 p., 29,95 €.