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Sommeil : et si on réglait nos dettes ?

Date de publication: 8 nov. 2013

Nous dormons de moins en moins. En cinquante ans, nous avons perdu environ une heure et demie de sommeil par nuit. Mais cette dette de sommeil colossale n’est pas sans répercussions sur notre santé... ni sur notre travail.

Le monde appartient à celles qui se lèvent tôt. Cet adage, Bénédicte, consultante et businesswoman accomplie l’a toujours appliqué à la lettre. À l’entendre, pas de doute : c’est aux quelques heures qu’elle a volées à ses nuits qu’elle doit sa réussite. Ses petits matins blêmes lui ont permis de gravir les échelons comme un homme et d’apaiser sa culpabilité de mère. Lorsque ma fille était bébé, je me levais à 5 h du matin pour pouvoir travailler avant qu’elle ne se réveille. Et bien sûr, je retravaillais toujours après qu’elle soit couchée, raconte-t-elle. Je n’avais pas le choix. Si je ne voulais pas sacrifier ma carrière, il fallait tout simplement que je dorme moins ! Aujourd’hui, c’est une ado mais le week-end, lorsqu’elle fait la grasse matinée, je continue à fonctionner de cette manière. Je me lève tôt et je travaille. Comme ça, je peux profiter d’elle le reste de la journée.

Loin d’être la seule dans son cas, Bénédicte est à la tête d’une génération de femmes qui, afin d’assurer sur tous les fronts, a sacrifié ce qui lui paraissait le plus accessoire : son sommeil. Certains observateurs pensent même que les inégalités en matière de sommeil s’érigeraient aujourd’hui comme la nouvelle cause féministe ! Pour que les femmes aillent de l'avant dans ce pays, nous allons toutes devoir nous coucher et faire une sieste, affirmait déjà en 2010 Arianna Huffington, la patronne du « Huffington Post », désolée de voir ses compatriotes se coucher de plus en plus tard et se lever de plus en plus tôt. Car non seulement les femmes dorment peu, mais les effets délétères du manque de sommeil seraient aussi sur elles plus prononcés. Prise de poids, baisse de l’immunité, dépression, maladies cardiovasculaires : si elles ont l’illusion de ne rien sacrifier, les femmes laisseraient en réalité leur santé et leur sang-froid dans ces nuits trop courtes...

Des travailleurs endettés

Mais la dette de sommeil, bien entendu, n’est pas l’apanage des femmes. Les hommes sont aussi concernés par ce problème. Ainsi, selon un récent sondage de l’Institut du sommeil et de la vigilance (INSV) réalisé sur la population française, les adultes dormiraient aujourd’hui en moyenne sept heures par nuit. Soit une heure et demie de moins qu’il y a cinquante ans. Toujours selon cette étude, 30 % d’entre eux ne dépasseraient pas les six heures de sommeil... bien trop peu si l’on considère que nous avons besoin en moyenne de sept à neuf heures de sommeil. Parmi ces habitués des micronuits, on retrouve sans étonnement de « jeunes actifs », forcés de s’adonner à de longs trajets pour se rendre au travail et en revenir... autrement dit des navetteurs !

Parce que la sensation de vivre en mode automatique métro-boulot-dodo est devenue inacceptable pour la plupart d’entre nous, nous avons peu à peu déprécié le sommeil. Dans un monde où les sollicitations sont innombrables, où nous avons constamment la sensation de « manquer » quelque chose – un scoop, un tweet, un contrat, la ixième saison de telle série –, nous l’avons relégué au second plan. Perçu comme une perte de temps, une activité inutile, le sommeil est de plus en plus rarement un plaisir... et très souvent un problème.

Mais ce que nous oublions, c’est qu’à force de rogner sur nos nuits, nous perdons aussi en efficacité au travail. Dormir moins pour travailler plus serait donc un très mauvais calcul. Plusieurs études ont ainsi montré que la privation de sommeil diminue notre vigilance au travail, particulièrement en termes d’attention visuelle. Le manque de sommeil nous rendrait aussi plus impulsifs, voire plus agressifs, des comportements qui – a priori ! – ne devraient pas nous aider dans le monde du travail... Enfin, sans surprise, le manque de sommeil diminue nos capacités de concentration, nous faisant alors perdre un temps précieux que nous devrons récupérer en allant nous coucher plus tard. Un cercle vicieux qui devrait devenir un enjeu majeur pour la médecine du travail. Car aujourd’hui, le sommeil a cessé d’être une affaire strictement privée : c’est un débat de société dans lequel il convient, encore et toujours, de viser l’égalité.

 

Sieste en entreprise

Au sein d’entreprises comme Google ou Nike, la sieste a cessé d’être un tabou depuis longtemps. Tous les spécialistes du sommeil s’accordent d’ailleurs à dire qu’il s’agit là d’une très bonne idée : une courte sieste après le déjeuner accroît les performances pour le reste de la journée. Mais dans nos sociétés, faire la sieste reste associé à la paresse et à l’oisiveté. Sans compter que la plupart des travailleurs sous pression ont beaucoup de mal à « déconnecter » en milieu de journée.

Junk night

Selon le sondage de l’INSV, sept personnes sur dix se réveillent au moins une fois par nuit. 11 % disent se réveiller au moins trois fois chaque nuit. Plus d'un tiers des personnes interrogées affirment par ailleurs souffrir d'au moins un trouble du sommeil : insomnie, syndrome des jambes sans repos, syndrome d'apnée du sommeil... Nos nuits ne semblent pas réellement plus belles que nos jours !

Pas fatigué ?

Certaines personnes – peu nombreuses – n’ont besoin que de quatre à cinq heures de sommeil par nuit. Nous sommes nombreux à les envier et pourtant, ce n’est pas une question de volonté ! Si vous avez besoin de neuf heures de sommeil pour vous sentir en forme, rien ne sert de lutter... Il faut partir à point.

Texte : Julie Luong