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Suicides sur le lieu de travail

Date de publication: 8 août 2013
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Le mardi 23 juillet, le grand patron de Swisscom, Carsten Schloter, 49 ans, a été retrouvé pendu à son domicile dans la région de Fribourg. Le PDG était un bourreau de travail. En 2010, il déclarait au Schweizer Illustrierte : «Je me lève à 5 heures du matin et si je ne fais rien, je deviens d'une humeur massacrante». Son hyperactivité lui demandait toutefois de lourds sacrifices, de plus en plus difficiles à encaisser. Ainsi, en mai, ce père de trois enfants, séparé de sa compagne, regrettait de n’avoir pas pu concilier carrière professionnelle et vie personnelle : «Il arrive un moment où vous avez l'impression d'enfiler les obligations. Cela vous prend à la gorge. »

 

Un suicide par jour

Les suicides liés au travail sont de plus en plus fréquents. Ainsi, en France, chaque jour, une personne se suicide à cause de son travail. Ces dernières années, le pays a souvent défrayé la chronique en raison de tristes records : entre 2007 et 2010, 91 salariés de France Télécom se sont donné la mort. Au lieu d’une énumération anonyme, nous avons choisi de nous arrêter sur certains de ces destins funestes et de donner un visage à cette déferlante dramatique.

Thierry Costa, le médecin conspué de Koh-Lanta

Tout le monde se rappelle de l’émoi suscité par le suicide de Thierry Costa, le médecin de Koh-Lanta, qui mit fin à ses jours au Cambodge, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2012, après le premier jour du tournage de l’émission. Dans sa lettre d’adieu, il déclarait ne pouvoir supporter le dénigrement dont il était la victime dans les médias, qui remettaient en cause sa qualité de médecin.

« Tu expliqueras ça à mes filles » 

Dans la nuit du dimanche 21 au lundi 22 avril 2013, un salarié de l'usine Renault à Cléon (Seine-Maritime), est retrouvé pendu sur son lieu de travail. Quelques jours plus tôt, la direction avait conclu un projet d'accord compétitivité-emploi, exigeant une série de sacrifices de la part de son personnel. Des grèves avaient éclaté, qui furent toutefois rapidement étouffées par la direction, s’adonnant au chantage psychologique. Conséquence : croulant sous la pression, un salarié de 35 ans se donna la mort, laissant une lettre à l’attention de son patron. Il y déclarait : « Merci Renault. Merci ces années de pression […]. La peur, l'incertitude de l'avenir sont de bonne guerre, parait-il ? Tu expliqueras ça à mes filles, Carlos [Ghosn, le PDG du groupe].» Une enquête est ouverte afin de déterminer la responsabilité de chacun dans cet événement tragique. La justice a d’ores et déjà tranché sur deux suicides qui avaient eu lieu sur le site du Technocentre de Renault à Guyancourt (Yvelines) fin 2006 début 2007, et a condamné le groupe Renault pour « faute inexcusable ».

Accablé

Le 6 octobre 2010, Philippe, père de trois enfants, est retrouvé pendu dans son bureau. Depuis quelques mois, son patron lui avait assigné des responsabilités supplémentaires. Il se sentit rapidement débordé et épuisé. Il en fit part à sa direction, qui ne prit aucune mesure pour le soulager. L’épouse de Philippe a porté l’affaire en justice et a obtenu gain de cause : le 16 avril 2013, le tribunal des Affaires de sécurité sociale (Tass) d’Orléans a tenu pour responsable le patron de Philippe, qui doit désormais verser la somme de 150 000 euros à la compagne de Philippe, en guise de dédommagement moral. Maigre « consolation ».

En cause : le « management par le stress »

Deux rapports d’expertise sur les suicides, dans deux entreprises françaises, établissent un lien évident entre ce phénomène en recrudescence et le « management par le stress ». Ce qu’on appelle aussi « lean production », en vogue au Japon, entraînerait des conséquences désastreuses. Les travailleurs nippons ont développé deux appellations pour désigner celles-ci : le Karoshi – mort par surtravail – et le Karojisatsu – suicide causé par le stress au travail. Cette nouvelle forme de « management toxique » empêcherait les travailleurs de maintenir un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Ceux-ci auraient davantage de travail, pour moins de temps, et seraient confrontés à une obsession des « objectifs » à atteindre, souvent irréalistes.

Dégradation du vivre ensemble

Selon les experts, cette forme d’organisation du travail « mènerait à une dégradation du "vivre ensemble" notamment, à l’individualisation de l’évaluation de la performance et au manque de reconnaissance ». La souffrance au travail engendrerait une détérioration de la vie personnelle et des relations avec les proches. L’individu, isolé, pourrait alors imaginer une solution aussi radicale que définitive à son désarroi.

Plus d’infos : Du 11 au 13 octobre se tiendra à Paris un colloque international sur le suicide et le travail, qui se penchera plus particulièrement sur le phénomène du suicide sur le lieu de travail.

À noter : Le Centre de Prévention du Suicide offre une écoute téléphonique 24h/24 au numéro gratuit 0800 32 123.