Travailler en horaires décalés

Infirmiers, techniciens de maintenance, transporteurs... En Europe, plus de 7 % des salariés travaillent de nuit (1) et cette proportion ne cesse d’augmenter. Pourtant, les horaires décalés – on le sait désormais – nuisent à  la santé. Comment se préserver ?

La banalisation du travail de nuit

Ils prennent la route à  la nuit tombée, mènent une vie parallèle dans les couloirs des hôpitaux, arpentent des rayonnages sous le doux rayon des néons. Si le travail de nuit n’est pas nouveau, la mondialisation et le développement de l’économie de service tendent à  le banaliser. Les sociétés de transport express, boostées par l’essor du commerce en ligne, en sont le parfait exemple. Tout comme la logique du shopping no limit : la semaine dernière, le grand magasin Séphora des Champs-Élysées a été contraint par la cour d’appel de Paris à  fermer à  21 h… au lieu de minuit.

Un encadrement légal stricte

En principe, le travail de nuit (entre 20 h et 6 h) est en effet... interdit. Sauf dérogations. En Europe, à  côté des dispositions de la réglementation du travail, des mesures ont également été prises dans le cadre du bien-être des travailleurs de nuit et des travailleurs postés. En Belgique, ces mesures sont fixées par l’Arrêté royal du 16 juillet 2004 : elles imposent à  l’employeur d’effectuer une analyse des risques liés au travail de nuit, en particulier pour les activités qui peuvent diminuer la vigilance du travailleur (tâche monotone, utilisation de substances neurotoxiques) ou qui augmentent l’activation biologique (transport de matériel lourd, environnement chaud ou froid, etc.). L’employeur doit en outre informer les travailleurs de ces risques et prendre les mesures de sécurité qui s’imposent (ergonomie des postes de travail, rotations des équipes, premiers secours...). Tous les travailleurs de nuit doivent par ailleurs être soumis à  une évaluation de santé préalable et à  une évaluation de santé périodique tous les trois ans, voire tous les ans dans certaines conditions.

Le travail de nuit nuit-il ?

Vous êtes travailleur de nuit et vous ne vous en plaignez pas ? À la bonne heure. Nous ne sommes pas tous égaux devant les horaires décalés : certains ne s’y font jamais, d’autres s’adaptent très bien. Disons aussi que, dans un contexte où les salaires font grise mine et où les journées sont toujours trop courtes, les travailleurs ont appris à  voir le bon côté des pauses. Quand je faisais les nuits dans le service des urgences, je gagnais près de 300 € en plus, confie Sophie, 33 ans, psychologue en milieu hospitalier. La journée, je pouvais aussi m’occuper des courses, de la maison, passer à  la banque ou caler un rendez-vous chez le coiffeur.

Mais comme l’ont montré de nombreuses études, le travail de nuit a des conséquences délétères sur la santé. Depuis les années 80, les scientifiques savent en effet que la lumière naturelle joue un rôle central dans la synchronisation de notre horloge biologique. Cette synchronisation préside à  des mécanismes aussi complexes que la production hormonale ou la division cellulaire. Lorsque l’organisme n’a pas sa dose de lumière naturelle, l’horloge se dérègle et entraîne une série de troubles en cascade : trouble du sommeil, de la vigilance, de l’humeur, de la digestion... Des problèmes qui touchent aussi fréquemment les personnes aveugles. CQFD.

Quels effets concrets ?

Les insomnies et la mauvaise qualité du sommeil liées au travail posté ont désormais un nom : on parle de shift work sleep disorder (trouble du sommeil lié au travail posté) ou SWSD. En moyenne, on estime que le sommeil d’un travailleur de nuit est écourté de 1 à  4 heures. En raison de la perturbation des sécrétions gastriques, les troubles intestinaux sont aussi fréquents. Ajoutons à  ce réjouissant tableau un risque accru de maladies cardiovasculaires et de troubles psychiques comme la dépression.

Les femmes, en particulier, paient un lourd tribut au travail de nuit. Le travail à  pauses perturbe en effet le cycle menstruel, avec des répercussions sur la fécondité. En raison de la fréquence plus élevée des fausses couches et de la prématurité, le passage aux horaires de jour pour les femmes enceintes est vivement recommandé. Après la naissance de ma fille, j’ai fait une demande pour changer de service, confie Sophie. J’avais de gros problèmes de sommeil et je n’arrivais plus à  récupérer. J’ai aussi eu un ulcère. Difficile de dire si c’est lié, mais je ne voulais plus prendre de risques. Il faut dire que depuis 2008, le travail posté a également été classé par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) comme « cancérogène probable » : selon plusieurs études, le risque de cancer du sein est en effet plus élevé parmi les travailleuses postées (2). Au Danemark, le cancer du sein est déjà  reconnu comme maladie professionnelle chez certaines d’entre elles.

Les solutions

À défaut de supprimer les pauses, il est important de privilégier les rotations rapides : le déficit en sommeil tend en effet à  s'accumuler après plusieurs postes de nuit successifs. Les rotations rapides de poste permettent de varier les horaires de repos, mais aussi de préserver la vie sociale. Les études montrent qu’idéalement, il ne faut pas faire plus de trois à  quatre nuits consécutives. Pas d’excès de zèle donc. Veillez aussi à  ce que votre employeur respecte ses obligations : si vous êtes enceinte, l’employeur ne peut vous obliger à  travailler la nuit pendant la période de huit semaines précédant la date présumée de l'accouchement. Moyennant la production d'un certificat médical, vous pouvez également refuser le travail de nuit pendant d'autres périodes de votre grossesse et pendant une période de quatre semaines après la fin du congé postnatal. L'employeur est alors tenu de vous donner un travail de jour ou, si cela n'est pas possible, de suspendre l'exécution du contrat de travail.

(1) Eurostat, Labour Force Survey series, février 2012.
(2) Étude CECILE.

Julie Luong

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