Y a-t-il du boulot dans l’avion ?
Plus de 35 000 avions à construire dans les vingt prochaines années dans le monde. Dans la plupart d'entre eux voleront des équipements conçus et produits en Belgique. Focus sur un secteur qui a le vent en poupe et est en recherche constante de talents.
Les prévisions sont « affolantes »... et en tous points positives : jamais encore on n'avait anticipé des ventes d'avions aussi élevées dans le monde ! Dans sa dernière mise à jour, publiée juste avant le Salon aéronautique du Bourget, Boeing estime que plus de 35 000 nouveaux appareils (tous constructeurs confondus) seront commandés dans les vingt ans à venir, pour une valeur estimée à près de 5 000 milliards de dollars.
Tout profit pour les entreprises belges actives dans ce secteur ? C'est une quasi-certitude. Tant à la Sonaca (lire l'interview de Bernard Delvaux, CEO, ci-dessous) que chez les autres grands sous-traitants, les chaînes de production tournent à plein régime. Les ventes du moteur CFM56 qui équipe les Airbus A320 et les Boeing 737 atteignent un sommet, à 1 400 moteurs par an, confirme Yves Prête, administrateur délégué de Techspace Aero, cette entreprise spécialisée notamment dans les compresseurs basse pression. Vu que nous sommes partie prenante dans la plupart des nouveaux programmes de motorisation, les perspectives sont très positives.
Sur le plan des ressources humaines, cependant, le défi de la croissance (le chiffre d'affaires a gonflé de 40 % en deux ans, à 448 millions d'euros) est réel. Nous devons recruter pour y faire face, mais aussi pour remplacer les nombreux départs à la retraite, confirme Xavier Naveau, directeur des ressources humaines de cette entreprise qui emploie 1 270 salariés, dont plus de 40 % d'ingénieurs et techniciens. Cela se traduit par une grosse centaine de recrutements par an, non seulement dans nos ateliers, mais aussi pour nos bureaux d'études qui planchent sur nos nouveaux projets : nous avons déjà recruté 62 personnes cette année.
Confrontée comme nombre d'entreprises ayant recours à des profils techniques à une pénurie relative des talents, Techspace Aero peut cependant se reposer sur une réelle attractivité, d'ailleurs confirmée par un récent award décerné par Randstad. Pour les ingénieurs, nous ne rencontrons pas trop de problèmes, poursuit Xavier Naveau. Mais c'est le fruit d'une politique proactive de notre part : nous allons nous présenter sur les campus, nous organisons des visites de l'entreprise, des rencontres avec nos jeunes ingénieurs.
De formidables défis technologiques
Ce qui séduit ces ingénieurs ? L'aéronautique, qui fait toujours rêver et qui génère de formidables défis technologiques. Il s'agit non seulement de fabriquer à moindre coût et de tester les produits, mais aussi de concevoir beaucoup plus en amont les moteurs (plus économes, moins polluants, moins bruyants, intégrant des matériaux composites, etc.) qui verront le jour dans cinq ou dix ans : l'entreprise investit 15 % de son chiffre d'affaires en recherche et développement.
Pour les techniciens et ouvriers qualifiés, le recrutement est apparemment un peu plus compliqué. Et ce, en raison notamment d'une visibilité moindre dans les établissements qui les forment. Mais nous y travaillons, car nous avons impérativement besoin de tels profils, souligne Xavier Naveau. Nous allons en particulier induire des collaborations plus directes avec l'enseignement secondaire, afin de permettre à des jeunes d'effectuer des stages chez nous, un peu à l'image de ce qui se pratique couramment en Allemagne.
Les avantages de tels partenariats sont connus : les élèves découvrent un employeur potentiel tout en bénéficiant d'un appareillage haut de gamme pour parfaire leur formation. Quant à l'employeur, il a tout le loisir de tester ces éventuelles futures recrues, non seulement sur le plan technique, mais aussi de la personnalité.
Ce dernier point est très important, souligne Yves Prête, le patron de Techspace Aero qui prend le temps de rencontrer personnellement chaque nouvelle recrue. Quand une entreprise se porte bien, ce qui est notre cas, on est tenté de se reposer sur ses lauriers. Or, rien n'est plus dangereux. Notre performance future repose en effet sur trois conditions : proposer les meilleurs produits, générer des bénéfices suffisants pour investir dans la R&D et constamment se remettre en question pour progresser.
Les entreprises ne sont pas seules pour répondre à ce défi de l'adaptation puisqu'elles sont épaulées par Skywin, le pôle de compétitivité wallon dédié à l'aéronautique, qui fédère dans le cadre de projets les grandes entreprises, les PME, les centres de recherche et les universités. Depuis 2006, nos partenaires ont dispensé quelque 192 000 heures de formation, soit au profit de demandeurs d'emploi, soit au profit de salariés, confirme Pierre Sonveaux, le président de Skywin. Nous estimons que nous avons contribué, par ce biais et dans le cadre des projets de recherche et développement, à conforter plus de 500 emplois.
Cette constance dans l'effort est également perçue comme une exigence absolue par les PME. L'aéronautique est un marché très pointu, souligne Giuliano Laquatra, responsable notamment des ressources humaines chez Tech Welding, à Nivelles, qui travaille à 70 % dans ce secteur et à 30 % pour le secteur pharma. Notre créneau, c'est la soudure de très haute précision. Notre personnel est hyperspécialisé... mais ce n'est pas encore suffisant : nous avons dû envoyer nos soudeurs en formation en France afin qu'ils obtiennent une accréditation spécifique pour l'aéronautique. Cela représente un coût important, mais c'est aussi à terme un excellent moyen de dégager de la valeur ajoutée.
À l'ULg, des ingénieurs se prennent à rêver
C'est un signe qui ne trompe pas : plus de soixante étudiants suivent le master ingénieur civil en aérospatiale de l'Université de Liège (ULg), le seul de ce type qui est organisé en Belgique francophone. C'est l'une des spécialisations actuellement les plus recherchées par les futurs ingénieurs, certains nous rejoignant de l'étranger, confirme le professeur Gaà«tan Kerschen qui y donne cours d'astrodynamique et de robustesse des modèles numériques notamment. C'est très certainement dû au fait que les avions et la conquête de l'espace font toujours rêver mais pas seulement : pour un ingénieur, de tels domaines sont très stimulants, car ils les poussent dans leurs derniers retranchements. On y évolue constamment aux limites : les contraintes sont maximales, de même que l'exigence d'optimisation.
Gaà«tan Kerschen sait de quoi il parle. Il a été sélectionné l'an dernier par le Conseil européen de la recherche qui lui a octroyé une bourse ERC Starting Grant destinée à financer des projets de recherche exploratoire, « stimulant l'excellence scientifique et la créativité de jeunes chercheurs ». En l'espèce : la maîtrise des phénomènes vibratoires sur les structures d'avion. Il est aussi partie prenante du projet Oufti, un nanosatellite de 1 kg à peine, qui sera envoyé dans l'espace à bord d'un lanceur Vega de l'Agence spatiale européenne. Bref, un passionné !
Comme nombre d'ingénieurs, je ne me suis à vrai dire jamais posé la question du choix de mes études : c'était évident. J'ai toujours adoré concevoir des machines, des systèmes, des engins, poursuit-il en précisant à quel point la demande reste forte dans les entreprises. On recrute avant la fin des études. D'autant que dans le secteur aérospatial, la croissance est au rendez-vous et profite à de nombreux acteurs belges. Nous n'avons vraiment pas à rougir de notre expertise en la matière : elle est reconnue à l'échelle internationale.
« Un secteur porteur à long terme »
Bernard Delvaux est administrateur délégué de la Sonaca, un sous-traitant spécialisé dans la conception et la fabrication de slats (bords d'attaque des ailes). L'entreprise emploie 2 300 personnes dans le monde, dont 1 500 à Gosselies.
Peut-on vraiment affirmer, aujourd'hui, que l'aéronautique est un secteur porteur à long terme ?
Même s'il y aura inévitablement des crises, on peut effectivement affirmer que l'aéronautique est porteuse à long terme. Il y a plusieurs raisons structurelles qui justifient ce constat, parmi lesquelles la forte croissance de la demande dans les pays émergents qui génère mécaniquement, dans la foulée, un accroissement des besoins de déplacement et donc du nombre d'avions. La deuxième raison est liée au besoin de renouveler des flottes vieillissantes dans les pays occidentaux, en particulier aux États-Unis.
Tous les voyants sont donc au vert ?
On peut le voir comme ça, mais il faut tout de même rester réaliste : ce secteur suscite beaucoup de convoitises et, avec l'arrivée de nouveaux acteurs, il est inévitable que la concurrence s'intensifie. Les industriels belges et plus globalement européens ne pourront donc continuer à profiter de cet essor prévisible qu'en continuant à investir massivement dans la recherche et développement, ce qui conduit à s'interroger sur notre capacité à former suffisamment d'ingénieurs. Si l'on veut, parallèlement, continuer à produire chez nous ce que nous y avons élaboré – nous employons 950 ouvriers à Gosselies –, se pose bien évidemment la question de notre compétitivité et donc, entre autres, celle de la hauteur des coûts salariaux.
La Sonaca, après avoir vécu une lourde restructuration, a-t-elle recommencé à recruter ?
Nos derniers résultats témoignent d'une forte croissance du chiffre d'affaires et d'un retour à la profitabilité. Dans ce contexte, combiné à la mise en production des nouveaux programmes comme l'Airbus A350 notamment, nous recrutons plusieurs dizaines de collaborateurs par an : des ingénieurs, des techniciens, des ouvriers. Sans trop de problème, car nous bénéficions d'une image attractive, liée au fait que nous travaillons pour des clients prestigieux comme Airbus, Embraer, Dassault ou Bombardier, notamment.
Benoît July